Introduction au travail de Philippe Gronon à travers la présentation de l'une de ses séries majeures,
Versos. Le photographe y capture l'envers des tableaux anciens et modernes (de Léonard de Vinci à
On Kawara en passant par
Picasso), dévoilant une œuvre nouvelle. Une préface de Hubert Besacier éclaire les enjeux de cette démarche singulière.
[Avec] la série des Versos, qui débute en 2005 […] l'approche est périlleuse parce que, dès que l'identité du recto se précise et dès que les informations qu'il véhicule se font plus nombreuses ou plus remarquables, l'intérêt documentaire s'accroît et menace de l'emporter. Plus cet intérêt est grand, plus le regard et l'attention portés à l'œuvre photographique sont différés. Cette prévalence de l'anecdotique est forcément accentuée par la notoriété, la popularité du référent […]
[Pourtant] dans l'ensemble de son œuvre, Philippe Gronon ne cherche jamais l'effet, jamais l'émotion. Il s'efforce de saisir l'objet, méticuleusement choisi, méticuleusement cadré, avec la plus grande lisibilité ou – en termes de photographie – avec la meilleure définition possible. Il n'y a pas, comme dans la photographie événementielle, d'instant privilégié. Le sens de ce que véhicule le cliché n'est jamais ni trahi ni occulté. Mais il est, bien que fixé dans son évidence littérale, déconnecté de son contexte et de la fonction qui est sa raison d'être.
Extrait de la préface d'Hubert Besacier, « La peinture mise à nu par le photographe ».
Publié à l'occasion de l'exposition « Révéler » au Musée national Picasso-Paris, du 8 novembre 2016 au 8 janvier 2017.
Depuis le tout début des années 1990, Philippe Gronon (né en 1964 à Rochefort sur Mer, vit et travaille à Malakoff) développe un travail photographique dont le point de départ est la définition la plus simple – et historique – de la
photographie elle-même, à savoir qu'elle est une technique de fabrication d'images qui enregistre la réalité telle qu'elle est.
Chez Gronon, ce constat se traduit par un protocole de production bien réglé : la quasi-totalité des objets photographiés (amplis, coffres-forts, tableaux de cotation, écritoires, pierres lithographiques, tableaux électriques, versos de peintures…) le sont à l'échelle 1 si bien que le spectateur a devant lui le motif choisi dans sa vérité la plus frontale et criante. La façon dont l'artiste le restitue la plupart du temps est elle aussi exemplaire de la dimension réaliste de cet enregistrement des aspects du monde : l'objet photographié est bien souvent découpé c'est-à-dire détouré se donnant ainsi à voir tel quel, de face et sans encadrement. L'image est alors l'exact portrait du sujet mais aplati, sans profondeur.
Loin de la mise en scène du corps explorée par la photographie plasticienne dans la période récente, loin aussi de toute idée de reportage liée à un style documentaire, la photo est ici un relevé aussi chirurgical et direct que possible des choses, de leur
picturalité, ce qui fait toute la singularité de cet art et des images qui le définissent, lesquelles sont bien souvent d'authentiques
tableaux.
Travail à la logique implacable et impeccable, travail
retenu, l'art de Philippe Gronon montre somptueusement qu'il ne peut y avoir de réalité telle quelle, de réalité absolue, et que c'est en travaillant au plus près de la distance (infime et intime) entre ce qui est visible et ce qui est photographié, entre l'objet dans la réalité et l'objet de la photographie, que l'artiste invente un coefficient d'art.