Tordre le cou au primitivisme : voilà l'un des enjeux du travail de Jean Dubuffet (1901-1985). Le lecteur pourra trouver l'affirmation paradoxale tant l'artiste semble être le parangon du primitivisme artistique dans la seconde moitié du XXe siècle. Tout pourtant dans son travail concourt à récuser l'existence d'un art supposé « primitif », pierre de touche d'une conception européenne et raciste de l'art, repliée sur elle-même et ébranlée au sortir de la Seconde Guerre mondiale. En poussant à l'excès les codes du primitivisme de son temps, le peintre en dévoile lucidement les ressorts et les présupposés.
Considérant ensemble les trois activités de Dubuffet – la peinture, l'écriture et les prospections qu'il mène pour son entreprise de l'Art Brut – ce livre cherche à mieux comprendre cet activisme critique initié au début de la reconnaissance professionnelle de l'artiste.
Mois après mois, année après année, l'auteur retrace le cheminement intellectuel et la pratique maniaque de celui qui défendra et promouvra l'invention artistique dans tous ses états. Chemin faisant s'esquisse un portrait de l'art parisien d'après-guerre à l'heure de l'institutionnalisation de l'avant-garde : celui d'une vaste redistribution des rôles qui affecte les mondes de l'art, de la littérature, de la critique, mais aussi de l'ethnologie et de la psychiatrie.
Célébrant l'opération artistique en partant de l'informe, Dubuffet cherche alors à déjouer les procès de catégorisation qui sévissent dans le champ de la création, tout comme dans celui des sciences humaines et sociales. Là est la pointe de la critique de Jean Dubuffet, là est la besogne de l'Art Brut.
« Au terme de cette démonstration conduite avec l'exigence, la patience et la modestie du chercheur, c'est une nouvelle généalogie de l'art brut qui nous est proposée. [...] On l'aura compris, la lecture de ce livre est passionnante d'un bout à l'autre. Avec rigueur et fermeté, l'auteur retourne aux documents, aux archives, relit les correspondances, confronte les dates et les textes, rétablit des contextes. Il faut savoir gré à Baptiste Brun de nous avoir restitué la singularité, la complexité et la richesse d'un moment critique que l'on croyait, à tort, bien connu et dont on ne peut saisir la force et la cohérence qu'en rétablissant la continuité des liens entre ses divers registres expressifs : des projets, des œuvres, des objets, des écrits. »
Giordana Charuty,
Gradhiva
« Une thèse originale et stimulante [qui] aborde des thèmes toujours fertiles en débats. »
Emmanuel Pernoud,
Revue de l'art
Baptiste Brun est enseignant-chercheur à l'université Rennes 2 et à l'Ecole du Louvre. Ses travaux s'intéressent aux coopérations entre art,
anthropologie et
psychiatrie aux XXe et XXIe siècles. Commissaire d'exposition, il a notamment mis en œuvre l'exposition
Jean Dubuffet, un barbare en Europe (Marseille, Mucem, 2019).