L'œuvre auto-créative la plus monumentale jamais créée par Gustav Metzger (catalogue de l'exposition de Metzger au MAC Lyon, avec de nombreux documents d'archives et textes inédits, complétés de vues de l'installation, des essais de Mathieu Copeland et Franck Popper, ainsi qu'un entretien avec l'artiste).
L'art auto-créatif est indissolublement lié à ce qui fut son corollaire, l'art auto-destructif, que Gustav Metzger définit dès novembre 1959 dans son premier manifeste auto-publié. Si son œuvre est souvent envisagé à travers le prisme prépondérant de l'auto-destruction, il nous apparaît aujourd'hui nécessaire de considérer l'envers de toute destruction : l'auto-création. Metzger associe dès ses débuts le développement d'une pensée théorique et philosophique radicale à une expérimentation artistique constante. Ce sont ces deux dimensions que l'exposition met en œuvre. S'y trouvent réunis pour la première fois, les cinq manifestes « historiques » publiés par l'artiste entre 1959 et 1964, ainsi qu'un ensemble de documents reflétant sa pensée et son engagement pour un art auto-créatif. Gustav Metzger le définit ainsi en 1962 : « Avec cette forme d'art comme avec l'art auto-destructif, le temps, l'espace, le mouvement, la métamorphose et le son jouent un rôle à la fois différent et beaucoup plus important dans la conception, la construction et l'appréciation de l'œuvre […] ». Ces documents inédits sont présentés avec Supportive, 1966-2011, une œuvre récemment acquise par le musée. Cet environnement monumental fait de cristaux liquides incarne l'auto-création, principe élaboré dès 1959, dans sa plus vaste mise en œuvre réalisée à ce jour.
Publié à l'occasion de l'exposition de Gustav Metzger « Supportive, 1966-2011 » au Musée d'art contemporain de Lyon, de février à avril 2013.
La pratique de Gustav Metzger (1926-2017) est indissociable de l'Histoire, à la fois personnelle et collective. Né à Nuremberg dans une famille juive d'origine polonaise, exilé en Angleterre en 1939 et sauvé des camps de la mort
contrairement à sa famille, il place au cœur de son art l'horreur vécue en Europe pendant la Deuxième
Guerre Mondiale et sa haute conscience de la capacité de l'homme à s'autodétruire.
Entre 1959 et 1961, deux manifestes portant le même titre :
Auto-Destructive Art et un troisième intitulé
Auto-Destructive Art, Machine Art, Auto-Creative Art précisent les présupposés théoriques d'une production fondée sur l'abandon de la
peinture et de la sculpture devenues inaptes à rendre compte de la violence morbide de nos sociétés.
Gustav Metzger fait aujourd'hui état d'une carrière artistique de plus de cinquante ans dont le geste
inaugural est la
South Bank Demonstration, réalisée à Londres en 1961. Entre happening et
performance, Metzger projette de l'acide sur une succession de toiles en nylon : en quelques vingt
minutes, l'œuvre d'art réalisée, dans le même temps, s'autodétruit. Le geste, iconoclaste, marque
alors une rupture radicale dans sa conception de l'art.
La réflexion sur la technique et les améliorations constantes de l'armement prend ainsi la forme d'un
travail mémoriel sensible dans certains aspects visuels de ses actions : port du masque à gaz,
produits toxiques, annihilation intentionnelle du matériau. Il s'agit de faire revivre le passé, de tenter de
le confondre au présent, en luttant contre l'oubli, de traiter de la vie.
C'est pourquoi Metzger accompagne le XXe siècle dans ses événements les plus violents. Gazage
des tranchées, fours crématoires, bombes sur Hiroshima et Nagasaki, guerres de Corée et du
Vietnam, essais nucléaires dans le Pacifique, réchauffement climatique, nourrissent ses œuvres. Le
système capitaliste et la société de consommation sont pour l'artiste les origines et les garants d'une
civilisation mortifère.
Gustav Metzger est l'un des principaux organisateurs à Londres du festival
Destruction In Art
Symposium, qui rassemble en 1966 les
Actionnistes viennois, les membres de
Fluxus international et
des avant-gardistes de sensibilités diverses qui mettent à mal l'
establishment anglais à la fin des
sixties.
Si la destruction demeure l'élément central de son œuvre, celle-ci ne peut exister sans envisager les
conditions de son renouvellement créatif. Dans la suite logique de son art auto-destructif, Gustav
Metzger envisage dès 1961 la technique des cristaux liquides comme médium d'un art auto-créatif. Il
lui faudra quelques années pour la mettre au point. En 1963, à l'occasion d'une lecture donnée à la
Bartlett Society à l'Université de Londres, il projette une première œuvre auto-destructive constituée
de tissus de nylon tendus dans des caches de diapositives qu'il laisse se consumer sous l'effet de la
projection.
Une première œuvre à base de cristaux liquides, élaborée avec le soutien d'un physicien, est visible en 1966 lors de son exposition personnelle à Better Books, à Londres. Elle consiste également
en une projection lumineuse. Des cristaux liquides placés entre deux plaques de verre insérées dans
un projecteur sont mues d'un mouvement lent. Les cristaux alternativement chauffés par la lampe puis
refroidis génèrent des images, de formes et de couleurs en constante évolution. Ses projections de
cristaux liquides accompagnent, cette même année, les plus fameux concerts des
Who, de
Cream et
des
Move.
Après avoir été une figure de proue de l'underground londonien dans les années 1960-70, Gustav
Metzger appelle, à la fin des années 1980, à une grève de l'art, afin de contrer la réduction de l'œuvre
à un bien consommable.
Il commence alors une série intitulée :
Historic Photographs, poursuivie durant toutes les années
1990, dans laquelle il utilise des clichés traitant de la violence, comme le conflit israélo-palestinien ou
l'attentat d'Oklahoma City en 1995, pour confronter le spectateur à l'Histoire. Ces travaux le
conduisent à intégrer, au début des années 2000, des journaux dans ses œuvres, afin que la lecture
réactualise un passé menacé sans cesse par les dispositions sélectives de nos mémoires.
Ses productions les plus récentes portent sur l'écologie. Par exemple, le
Flailing Tree, présenté en
2009 à Manchester, est une sculpture composée d'arbres plongés tête en bas dans un bloc de béton.
En 2003, exposé lors de la Biennale de Lyon, à l'organisation de laquelle le musée contribue
fortement, l'artiste présente
100 000 Newspapers, une installation faite de milliers de journaux
entreposés sur des étagères métalliques.
Gustav Metzger renoue avec les cristaux liquides lors de sa première rétrospective au Musée d'art moderne d'Oxford en 1998
pour créer le premier environnement de cinq projections de cristaux liquides, maintenant régulé par un nouveau système informatique développé
par l'artiste en collaboration avec des ingénieurs et des chercheurs. Opérant dans une dialectique
entre la nature et la technologie, les environnements de cristaux liquides offrent un espace de
concentration pure. Les spectateurs y prennent une part active en s'immergeant dans ce mouvement
continu d'images et de couleurs silencieuses.