Un projet de musique de chambre sur disque vinyle du compositeur, artiste sonore et performer italien, inspiré par un rituel africain de prédiction.
Renard est un projet de musique de chambre, développé par le compositeur Alessandro Bosetti
en réponse à une commande du FRAC Franche-Comté pour la publication de ce disque vinyle.
Les pièces réunies sur
Renard ont été inspirées à Alessandro Bosetti par une vidéo vue au
musée d'ethnologie du Quai Branly à Paris, montrant une femme africaine qui prédit l'avenir en
jetant des poignées d'objets sur une table et en déchiffrant leur configuration, dans une suite
inlassable de questions-réponses qu'elle s'adresse à elle-même. Fascinés par la simplicité rituelle
de cette pratique, Bosetti et la designer Annette Stahmer décident de sélectionner leur propre
ensemble d'objets, mettent en place un code d'interprétation et enregistrent plusieurs séances
de prédiction avec des participants invités. Ceux-ci, ayant appris à « déchiffrer » les objets,
peuvent alors se répondre mutuellement sur des questions d'amour, de santé, de famille,
d'argent, de voyages ou de tout autre sujet sur lequel ils souhaitent prendre conseil.
Ce sont des morceaux choisis de ces échanges intimes et sensibles qui sont dépeints dans cette
suite de pièces pour voix, guitare classique et clarinette. L'aspect éphémère et spontané des
conversations d'origine se retrouve transformé en son contraire, cristallisé en compositions
musicales stylisées.
Comme c'est souvent le cas dans le travail de Bosetti, tout le matériau sonore découle de ces
échanges parlés. Cette fois-ci, cependant, la parole n'est plus audible en tant que telle, mais
plutôt utilisée comme matière première pour créer des motifs mélodiques géométriques qui, en
proliférant, finissent par susciter des constructions thématiques.
Si Alessandro Bosetti incorpore souvent des fragments du réel dans ses compositions – dans la
tradition de compositeurs ou d'auteurs de pièces radiophoniques tels que
Luc Ferrari ou Yann
Paranthoën – la particularité de sa méthode, ici, réside dans un choix de ne rien échantillonner,
de ne pas inclure les enregistrements, mais de recréer grandeur nature les scènes représentées,
avec la voix et les instruments, dans une sorte d'hyperréalisme fait-maison.
La forme choisie est un trio guitare classique-clarinette-voix, avec par moments l'apparition
d'ondes sinusoïdales. On pense parfois aux
Trois Lieder opus 18 d'Anton Webern (où la
clarinette basse et le ténor auraient pris la place de la clarinette piccolo et de la soprano) ou aux
explorations du trio de Jimmy Giuffre dans les années 60.
Les instrumentistes – tous berlinois d'adoption, à l'heure actuelle – sont le new-yorkais Seth
Josel, l'un des guitaristes- interprètes de new music les plus en vue du moment, qui a collaboré
avec des compositeurs tels que Tristan Murail, Helmut Lachenmann, Richard Barrett et
Phill Niblock ; et Laurent Bruttin, de Lausanne, qu'on connaît surtout pour son travail au sein de
l'ensemble genevois Contrechamps.
La musique, écrite avec une grande précision, est pure et cristalline, extrêmement formelle,
réduite à l'essentiel, la voix et les instruments étant mis à nu, tant dans leur fragilité que dans
leur virtuose précision. L'accent n'est plus mis désormais sur le bruit et les
extended techniques,
mais sur le déploiement des possibilités mélodiques et prosodiques, comme si l'on avait ajouté
une section « mélodie du langage » au
Thesaurus des gammes et des progressions mélodiques de
Nicolas Slonimsky.
Le nom du projet, « Renard », renvoie à une autre technique africaine de prédiction, celle des
Dogons, qui interrogent le Renard Pâle en traçant des dessins codés dans le sable, et viennent
déchiffrer ses traces le lendemain matin.
Le travail d'Alessandro Bosetti (né en 1973 à Milan, vit et travaille à Marseille), compositeur, musicien, artiste sonore et artiste radiophonique, basé sur la musicalité de la voix, du langage et des langues, explore la frontière entre le langage parlé et la musique. Ses compositions abstraites (sur disque, jouées lors de performances en public ou pour des diffusions radiophoniques) mêlent documents sonores et entretiens enregistrés, collages acoustiques et électro-acoustiques, stratégies relationnelles, pratiques instrumentales, explorations vocales et manipulations numériques. Un questionnement de la communication orale, des aléas des processus de traduction, et de l'écoute comme objet culturel,
à la frontière entre anthropologie sonore et musique contemporaine.
Bosetti est l'auteur d'une série d'œuvres sonores remarquables, où l'
esthétique relationnelle rencontre les méthodes de composition les plus novatrices, et a publié une quinzaine d'albums sous son nom, sans compter ses nombreuses collaborations. Il est depuis 2000 une figure majeure de l'Ars Acustica, et est l'auteur d'un vaste corpus d'œuvres électroacoustiques et de compositions texte-son, notamment pour des institutions telles que WDR Studio Akustische Kunst, la DeutschlandRadio ou encore le GRM, entre autres. Des pièces comme
Il Fiore della Bocca (Rossbin / DLR 2005) – une œuvre autour du vocalisme des personnes présentant des déficiences physiques ou mentales – ou encore
African Feedback – qui questionne la musique expérimentale, travail collaboratif avec les habitants d'un village d'Afrique de l'Ouest (
Errant Bodies Press, 2004) ont obtenu une reconnaissance internationale, et comptent désormais parmi les classiques du genre. Alessandro Bosetti a déjà présenté ses performances pleines de sensibilité en Europe, en Asie et aux Etats-Unis, que ce soit en solo, à la tête de son ensemble Trophies avec
Tony Buck et Kenta Nagai, en collaboration avec d'autres performers vocaux tels que Jennifer Walshe et Tomomi Adachi ou encore avec le pianiste
Chris Abrahams.