Le fait divers criminel comme version actuelle du ready-made : un pont entre l'histoire de
l'avant-garde et l'esthétique du meurtre.
WANTED! On recherche Duchamp, Man Ray, Breton, Dalí… Et si le fait divers criminel était notre version actuelle du ready-made ? Ceci impliquerait de mieux cerner ce qui relie l'avant-garde à l'esthétique du crime. Ainsi Ellroy et Duchamp portent un semblable regard sur le meurtre – ils participent d'une « esthétique » qui remonte à De Quincey et à Kant, à Poe et à Wilde : l'esthétisme pervers comme modernisme qui n'en finit pas de mourir. Cette tradition anarcho-moderniste inclurait aussi l'actionnisme viennois, le peintre Walter Sickert pris pour Jack l'éventreur, de nouvelles pistes sur la mort suspecte du Bergotte de Proust, et même le Da Vinci Code. Si code il y a, Walter Benjamin en fournit la clef en opposant « aura » et « traces ». Quand l'enquête policière sur Léonard de Vinci déloge l'aura-fétiche, le lointain devient proche, le fin limier qui fait parler les toiles remplace le spectateur mystifié par l'Art. Comme le disait Freud, il ne faut avoir peur ni du crime ni du cadavre si l'on veut se donner les moyens d'interpréter jusqu'au bout.
Cette édition est une version française modifiée, développée et réécrite du livre de Jean-Michel Rabaté paru en anglais sous le titre Given: 1° Art 2° Crime. Modernity, Murder and Mass Culture, Brighton, Sussex Academic Press, 2007.
Jean-Michel Rabaté est Vartan Gregorian Professor en sciences humaines à l'université de Pennsylvanie.