En deux conférences espacées de quatre décennies, l'historienne de l'art et curatrice
féministe Griselda Pollock dénonce les politiques du genre présentes dans l'
enseignement artistique et resitue les principaux tournants géopolitiques et idéologiques dans le monde depuis 1968.
Féminisme et pédagogie au cœeur des formations artistiques : 40 ans d'expérience réunit deux conférences tenues en 1985 et 2022 par Griselda Pollock.
Dans sa conférence de 1985, Griselda Pollock formule une critique des politiques du genre présentes dans l'enseignement artistique au XXe siècle qui, selon elle, renforcent l'idéologie individualiste et masculiniste des conditions de production capitalistes de l'art. Elle associe le culte de l'auteur avec une absence de reconnaissance des femmes artistes, malgré leur participation flagrante à l'art moderne. Elle explore l'impact de la critique post-moderne et de l'engagement pour un art féministe sur les théories de la signification, de la subjectivité et sur l'image, quand elle se détache du modèle de « l'atelier ». Pour finir, elle plaide pour « une intervention féministe dans l'histoire des arts » à même de contester le modèle exclusivement centré sur l'homme artiste-héros ou sur l'hégémonie du formalisme dans la théorie de l'art.
Près de quarante ans plus tard, en 2022, Griselda Pollock revisite l'impact de 1968 et la révolution théorique provoquée par ce moment historique en resituant les tournants géopolitiques et idéologiques de 1989, 2001, et plus particulièrement 2007 (sortie de l'iPhone, liée à Internet et aux réseaux sociaux). Elle identifie une tendance post-2010 problématique qu'elle appelle (moyennant
Derrida) « instagrammatologie » et défend une analyse critique de la grammaire des réseaux sociaux, qui réduisent selon elle le spectre de la pensée nuancée et performent la surveillance des idées.
La collection « La surface démange » propose des récits réflexifs provenant de pédagogues en écoles d'art, dans les départements universitaires d'écritures créatives et d'arts visuels, les centres d'art et les musées – des institutions souvent considérées comme progressistes. La collection souligne les possibilités de transformation et les contraintes rencontrées par des pédagogies artistiques à visée émancipatrice dans le domaine des arts visuels, de la performance, de la littérature, de l'histoire de l'art, de la recherche académique et de la critique d'art, toutes élaborées dans des contextes empreints de colonialité. Tiré d'un poème d'Audre Lorde, le titre évoque notre désir de questionner les normes, les biais, les impensés des formes pédagogiques, mais aussi de témoigner de ce qu'elles suscitent en nous. Publiée par la Villa Arson, « La surface démange » est dirigée par
Sophie Orlando (éditrice scientifique) et
Alice Dusapin.
Griselda Pollock (née en 1949 en Afrique du Sud), historienne de l'art et curatrice féministe, critique d'art et de culture moderne et contemporaine, spécialiste de la théorie psychanalytique française, de l'avant-garde et de Van Gogh, est Professeure émérite à la chaire des Social and Critical Histories of Art à l'université de Leeds, où elle a également créé et dirige depuis 2001 le Centre for Cultural Analysis, Theory and History. En 2020, elle est lauréate du prix Holberg, en 2023 du prix Lifetime Achievement Award for Writing on Art décerné par le College Art Association of America de New York, et en 2024 du prix mondial Nessim-Habif de l'université de Genève.