Lauren Tortil s'intéresse à l'impact des technologies sonores à usage individuel que sont les écouteurs audio sur notre perception de l'environnement. Omniprésents dans notre quotidien depuis la fin du XXe siècle, les écouteurs sont massivement utilisés pour se divertir, communiquer ou encore se protéger des nuisances sonores. Il en ressort toutefois que cet usage favorise le retrait du monde environnant par la création de bulles sonores personnalisées et impulse une parcellisation, voire une privatisation des espaces publics, soulevant des questions quant à la définition même de ces espaces.
Lauren Tortil enquête sur les technologies qui ont participé à l'émergence de ce phénomène, comme le Walkman TPS-L2 dont le lancement par Sony semble avoir révolutionné l'écoute à partir des années 1980, permettant à la fois une écoute individuelle et la mobilité de ses usagers.
Ce livre est l'aboutissement de la recherche intitulée
Du son pour faire silence que l'artiste a mené au Japon lors de deux séjours en 2023 et 2024 avec l'aide de la Fondation des artistes, puis en tant que lauréate en arts plastiques de la Villa Kujoyama. Ce travail a consisté – entre autres – à rechercher et réunir des documents inédits concernant le Walkman, présentées dans ce livre telles que des publicités, des fascicules d'utilisation, des photographies promotionnelles issues de magazines
lifestyle des années 1980, etc., au sein des archives de l'entreprise Sony, des bibliothèques nippones ou encore des magasins de livres d'occasion
L'artiste développe dans ce livre une réflexion abordant plus largement l'écoute individuelle, la mobilité sonore et notre condition d'auditeur·rice contemporain·e. En prenant appui sur le Walkman, le livre révèle une enquête sur l'histoire scientifique des technologies sonores apparues au cours des XIXe et XXe siècles (gramophone, théâtrophone, boombox, iPod, etc.) qui ont contribué à la mobilité de l'auditeur dans l'espace urbain. En regard du présent, ces associations permettent de révéler des liens transhistoriques et transculturelles entre ces technologies dans le but de mieux cerner les enjeux politiques contemporains des technologies actuelles et leurs impacts comportementaux, sociétaux et culturels sur leurs usager·ères.
À l'instar d'
Aby Warburg avec son
Atlas Mnémosyne qui utilise la juxtaposition de reproductions photographiques comme une méthode d'analyse et de connaissance historique, Lauren Tortil développe et agence sa réflexion par l'agencement d'images aux régimes différents issues de la culture occidentale et japonaise (publicité, photographie d'œuvre, photographie de presse, extrait de film, etc.) en les associant de manière non-hiérarchique, selon leur similitude de sujet ou formelle. Pour ce faire, elle propose un livre mêlant quatre processus d'écriture : la planche iconographique, la séquence, le diptyque ainsi que l'écriture textuelle qui vient chapitrer le livre. Une méthodologie iconographique qui rappelle celle de son précédent livre d'artiste
Une généalogie des grandes oreilles, et qui s'apparente à une pratique d'écriture à vocation scientifique.
Lauren Tortil (née en 1986 à La Roche-sur-Yon) est une artiste sonore et visuelle. Influencée par les sound studies et l'archéologie des médias, elle s'intéresse aux processus d'écoute par le prisme des technologies sonores, et aux interactions existantes entre ces médias, l'humain et leur environnement sonore. Cette démarche se manifeste par une recherche iconographique et théorique qui nourrit sa pratique plastique (objets imprimés, installations, performances) avec le son comme matériau de prédilection. Son travail a été montré dans plusieurs institutions en France telles que Bétonsalon, le Centre Pompidou, la fondation Louis Vuitton, la fondation Pernod Ricard, l'ADAGP et la Villa du Parc ; et à l'étranger au Musée d'art de Joliette (Canada), à la Sound Gallery (République Tchèque) et à la 11e Biennale d'Architecture de Sao Paulo (Brésil).
