De la guerre du Maroc en 1925 à la guerre d'Algérie, les surréalistes sont parmi les rares écrivains
à réclamer, aux côtés de l'extrême gauche, « l'évacuation immédiate des colonies ». Fascinés par l'art
« primitif » auquel ils tentent d'associer leur propre image, révoltés par l'ordre occidental, ils élaborent
une poésie du Sauvage qui renverse les préjugés colonialistes. Orientaliste, leur écriture se veut aussi destruction
d'une littérature ethnocentrique et coloniale. Mêlant jusqu'à les confondre la revendication anticoloniale
et l'exaltation poétique de l'altérité, leur parti pris procède avant tout d'une esthétique de
l'anticolonialisme. Le surréalisme se redécouvre ici à l'aune du paradigme colonial.
Si à l'heure des décolonisations, les intellectuels s'emparent de cette position politique, dans les années
1920, les surréalistes sont isolés lorsqu'ils s'insurgent contre la France coloniale. Dès lors, à l'avantgarde
qu'ils incarnent dans le domaine esthétique et poétique, correspond une avant-garde politique
caractérisée par la précocité et la radicalité de leur anticolonialisme. Fort de cette contestation, « la plus
fondée du monde » selon André Breton, le mouvement surréaliste appartient pleinement à l'histoire de
ceux qui refusèrent l'impérialisme.
Alors que le surréalisme a fait l'objet de nombreux ouvrages, peu se sont penchés de manière critique
sur cette revendication politique. Aujourd'hui, les cultures extra-occidentales sont largement mises à
l'honneur tandis que le passé colonial de la France fait l'objet d'un important travail mémoriel. Or, dès
les années 1920, les surréalistes s'appropriaient déjà ces questions. L'histoire de leur anticolonialisme,
indissociable de leur représentation poétique des non-Occidentaux, éclaire le présent de manière singulière.
« Une contribution importante à une sociologie et une histoire politique du surréalisme. »
Vincent Debaene, Gradhiva
Historienne, chercheuse associée au Centre d'histoire culturelle des sociétés contemporaines, Sophie Leclercq a travaillé pendant plusieurs années au département de la recherche et de l'enseignement du musée du quai Branly et a enseigné à l'Institut d'études politiques de Lille. Elle est depuis 2009 chef de projet pour les revues au Centre national de documentation pédagogique.