Livre d'artiste constituant l'aboutissement du projet éponyme mené en 2018 durant une résidence de Marc Buchy en Colombie, à Lugar A Dudas, durant laquelle il a entrepris d'apprendre une langue dite « en voie de disparition », le namtrik. La publication se présente comme un guide d'apprentissage de cette langue, sous la forme d'une grammaire namtrik / français.
« Le travail de Marc Buchy pourrait se définir comme un art de la dissémination et de l'infiltration qui bricole avec les moyens du bord. Prenant acte du renversement opéré par le capitalisme culturel et cognitif, qui subordonne la culture à la sphère marchande et fait de la connaissance un bien de consommation, l'artiste pousse dans ses retranchements le conflit entre valeur intrinsèque et valeur d'usage. Plutôt que d'ajouter du flux au flux, des images aux images, selon un principe accumulatif ou de surenchère visuelle, il détourne les logiques de savoir et de pouvoir pour en révéler les rouages invisibles. Faire grincer la machinerie bien huilée des régimes d'énoncés d'une époque, voilà qui devient pour lui matière à créer et à bifurquer. Comprenons que l'enjeu revient à identifier des rapports de forces, là où on ne s'y attend pas. Le projet Ka Kualmaku est l'un d'eux.
Se fondant sur la communauté Misak, peuple autochtone de Colombie, Marc Buchy tente d'apprendre une langue dite "en voie de disparition", à l'instar de la faune et de la flore à l'ère de la sixième extinction de masse. Car les langues, comme les statues, meurent aussi : de guerre, d'épidémie, de natalité insuffisante, par acculturation ou tradition orale, mais encore de colonialisme, de domination économique, de pression politique… Selon l'UNESCO, une langue disparaît toutes les deux semaines et si rien n'est fait, 90 % d'entre elles s'éteindront au cours de ce siècle. Pour autant, Marc Buchy ne se pose pas en "sauveur" d'une langue ou d'une identité, ce qui aurait été selon ses termes "une posture romantique et hypocrite", d'une part, et "contre-productive", d'autre part, en raison de sa position d'Européen inversant les flux historiques de domination et de globalisation. Son geste, tout en faisant sienne la dimension décoloniale, se situe ailleurs : dans l'espace même de circulation des savoirs et des dispositifs d'apprentissages par lesquels transitent des formes de pouvoirs implicites. »
Marion Zilio
Publié à l'occasion de la première exposition de l'intégralité du projet à la galerie Florence Loewy en janvier 2023.
Né en 1988 à Metz, Marc Buchy vit et travaille à Bruxelles. Après un bachelor en photo-vidéo à l'Institut Supérieur des Arts de Saint-Luc à Tournai (2010) puis un master en arts plastiques à la Luca School of Arts de Bruxelles (2012), il a complété son cursus par le post-diplôme de l'IHEAP à New York (2015). Membre fondateur et organisateur de l'artist-run space Greylight Projects à Bruxelles de 2012 à 2020, il a participé à des expositions collectives en Belgique (Société, Centrale for Contemporary Art, Iselp…) et à l'international (Friche la Belle de Mai, Marseille ; In Extenso, Clermont-Ferrand ;
CAN, Neuchâtel ; Material, Zurich ; The Others Art Fair, Turin ; Galeriji SC, Zagreb ; Antena, Chicago...). Son travail a également été l'objet de présentations et d'expositions monographiques au BPS22 (Charleroi), au Centre d'Art Nei Liicht (Luxembourg), entre autres.