extrait
Richard Hamilton disciple en miroir de Marcel Duchamp
Interview par Pascal Goblot
(extraits du livret)
Richard Hamilton s'est éteint le 13 septembre 2011. Pendant plus d'un demi-siècle, son
œuvre a projeté une exceptionnelle clarté sur le monde et sur nos représentations, dont il
a exploré et pointé avec bonheur les faux-semblants narcissiques et les leurres. Son
collage de 1956, Just what is it that makes today's homes so different, so appealing, l'a
définitivement consacré père du pop anglais, si ce n'est du pop tout court. Père, pas pape.
Ses œuvres témoignent d'un renouvellement formel permanent, réorganisant les
agencements entre ce qui relève des images, de la technique et des idées. En parallèle à
son activité personnelle, Hamilton a toute sa vie travaillé sur celle d'un autre, d'un aîné,
Marcel Duchamp. Il en a éclairé et repris chaque recoin, sans jamais essayer de réduire
l'univers duchampien à une lecture, ni se laisser enfermer par lui.
Il est fascinant de voir comment un artiste s'est construit dans une relation à un autre
artiste, un maître, un mentor. Une relation dont la fidélité indéfectible a permis l'émergence
d'un espace de liberté esthétique.
Ces dernières années, j'ai, à plusieurs reprises, interviewé et filmé Richard Hamilton pour
la Légende du Grand Verre, un long métrage de fiction sur la Mariée mise à nu par ses
célibataires, même, de Marcel Duchamp, dont Hamilton réalisa une réplique pour la Tate
Gallery en 1966. La conversation qui suit est extraite de ces entretiens.
Comment avez-vous découvert l'œuvre de Marcel Duchamp ? Et comment avez-vous fait
sa connaissance ?
Juste après la guerre, un ami m'a montré une copie des notes de la Boîte verte. J'ai trouvé
cela fascinant. Je n'y comprenais évidemment rien. Je ne pouvais pas déchiffrer ce qui
était écrit puisque c'était en français, mais c'est l'objet lui-même qui m'intéressait. Après
cela, la première peinture que j'ai vue, c'est la Mariée, dans une exposition à la Tate
Gallery qui s'intitulait « Chefs-d'œuvre de l'art moderne du musée d'Art moderne de New
York ». J'ai été subjugué. Parmi tous les chefs-d'œuvre réunis, c'est celui-là qui m'a fait
entrevoir de nouveaux horizons. Des années après, en 1956, j'ai essayé, avec l'aide d'un
ami parlant le français, de traduire les notes de la Boîte verte en vue d'une soirée
consacrée à Marcel Duchamp. Je lui ai écrit pour lui demander de jeter un œil sur mon
travail, de me dire ce qu'il en pensait. Un an plus tard, j'ai reçu une lettre, et j'ai reconnu
l'écriture de la Boîte verte. Duchamp voulait me présenter George Heard Hamilton, simple
homonyme sans lien de parenté avec moi, qui travaillait sur la traduction de l'ensemble
des notes de la Boîte verte. Ce qui m'intéressait dans ce projet, c'est que ces notes ne
pouvaient pas être imprimées comme un texte littéraire, de manière classique ; les
repentirs, les ajouts, les renvois, toutes ces petites marques, ces diagrammes dont
Duchamp surchargeait ses écrits, étaient très compliqués à rendre en typographie. Il fallait
réussir à exprimer le sens des notes, la pensée à l'œuvre en amont du travail. Cela
nécessitait de trouver une forme qui donnerait aux lecteurs une idée juste de l'élaboration
mentale accomplie par la personne ayant écrit tout cela. Après trois années de
correspondance avec Duchamp, couronnées par une rencontre à Paris, j'étais devenu
pour lui une sorte de disciple de la nouvelle génération. Il appréciait les efforts que je
faisais pour le comprendre, il trouvait que je me débrouillais très bien !