extrait
Avant-propos
(extrait, p. 13-15)
Nous construisons des bâtiments en pierre massive – où la pierre joue un rôle structurel –
depuis une quinzaine d'années. Nous avons présenté et défendu ce matériau au cours de
nombreuses conférences, colloques et séminaires en France et dans le monde. Les questions
soulevées par la présentation de nos projets sont récurrentes, c'est pourquoi nous
avons imaginé consigner les acquis de notre expérience, pour apporter aux architectes et
aux constructeurs des éléments de réponses concernant le processus de construction en
pierre massive. Plutôt qu'une somme exhaustive, travail long et fastidieux, nous avons
préféré concevoir un manuel de construction. Sans répondre à toutes les questions que
soulève l'usage de la pierre, il aura le mérite de servir de guide à tous ceux qui souhaiteront
emprunter ce chemin constructif.
Parmi toutes nos réalisations – dont bon nombre furent publiées – nous avons choisi
un projet récent qui montre bien le processus de construction complet et détaillé. Deux
bâtiments représentatifs pouvaient être choisis : le Musée des vins de Patrimonio et les
logements sociaux de la Zac Monges Croix-du-Sud à Cornebarrieu, dans la banlieue de
Toulouse (...).
Un chantier en exemple
Cet ouvrage est avant tout un manuel de construction en pierre massive. Notre propos est
d'en décortiquer (à la manière d'une dissection scientifique) toutes les étapes. Beaucoup
d'explications paraîtront évidentes à beaucoup de professionnels mais nous avons choisi
de ne rien omettre.
Les questions récurrentes auxquelles nous faisons face, aussi communes qu'elles
puissent paraître, méritent une réponse : comment relier un plancher à un mur en pierre ?
Comment intégrer les réseaux ? Comment installer des menuiseries ? etc. D'autres questions
sont fondamentales : comment composer avec la réglementation thermique et les
documents techniques unifiés (DTU) ? (...)
Démarche architecturale et démarche environnementale
Quelles sont ces voies ?
Nous avons la conviction que l'approche environnementale actuelle de la construction
est, pour une grande part, erronée : son approche évalue mal le coût énergétique global
si l'on veut faire des économies d'énergie ou diminuer les émissions de gaz à effet de serre.
L'obsolescence de nombreux matériaux est également mal prise en compte. Quelle est, par
exemple, la durée de vie d'un isolant thermique ? Nous avons tous été confrontés dans
notre métier d'architecte à ces doublages isolants où l'isolant avait disparu, transformé en
refuge et garde-manger des rongeurs ! N'en doutons pas : les magnifiques façades doublées
par l'extérieur seront demain un lieu d'étude privilégié pour analyser le retour de la faune
en milieu urbain ! Nous n'avons rien contre les rongeurs et autres cafards, mais nous
savons que la plupart des industriels chargent leurs produits d'insecticides pour lutter
contre ces animaux. Une étude suisse récente sur les enduits de synthèse a par ailleurs
mis en évidence la pollution des nappes phréatiques par le lessivage des façades bourrées
d'insecticides… Les choix environnementaux sont des choix complexes.
De bien trop nombreux exemples et leurs désastreuses conséquences nous ont lentement
convaincus que la réponse ne résidait pas dans le produit technologique, comme
nous l'avions imaginé dans nos premiers projets. Le progrès technologique qui bannit
l'homme au profit de la production industrielle – fût-elle « verte » – toujours croissante
ne nous semble pas viable. Notre conviction est que le progrès se trouve dans une croissance
raisonnée où l'objectif humanitaire supplante la recherche du taux de croissance.
Les valorisations incessantes d'un développement économique écologique conduites par
une partie des écologistes eux-mêmes est criminelle. Avec la destruction de nos ressources
et la mise en danger de la biodiversité, c'est la chaîne de la vie qui est détruite et, par voie
de conséquence, l'espèce humaine. Pourquoi servir des idées qui entraîneront notre disparition
? Notre approche architecturale s'est lentement dissociée des manières de penser et
de construire que valorisent les médias. Elle se fonde sur quelques principes simples dictés
par le bon sens.
Quelles solutions envisager pour construire de manière moins dispendieuse en
énergie ? Quels sont les matériaux les moins énergivores dans leur cycle de vie ? Quelles
sont les possibilités de réemploi et de recyclage ?
Depuis nos années d'études, nous nous sommes inspiré de l'architecture vernaculaire
qui nous paraît apporter les réponses architecturales (et non pas technologiques) à
des problèmes d'économies d'énergie. Cette influence m'a valu un premier prix lors d'un
concours européen portant sur l'énergie solaire passive (c'est ainsi qu'on nommait alors
la démarche « éco-responsable ») en 1980, c'est-à-dire au début de ma carrière ! Depuis,
mes convictions n'ont pas changé. Elles se sont renforcées jusqu'à l'évidence suivante : les
meilleures exemples d'architecture et de construction se trouvent dans les sociétés dont
les ressources en matériaux et en énergie sont limitées. Ce constat ne m'est pourtant pas apparu immédiatement. Il m'a fallu l'expérience croisée d'un ambitieux projet à Herne
en Allemagne, et celui d'un chai construit en pierre massive à Vauvert pour me mettre
sur la piste. Cette évolution dans ma réflexion s'est accompagnée d'une conviction forte :
l'importance et le respect du travail artisanal, produit par la main de l'homme. Nous étions
sur la bonne voie.
La remise du prix Tessenow en 2004, du nom d'un architecte de la période moderne
(je souligne volontairement ce mot !) qui a défendu l'artisanat au détriment de la production
industrielle, ce que d'aucuns dénoncèrent à tort comme une attitude passéiste, a comblé
mon engagement tout en le renforçant. Ces convictions me conduisent aujourd'hui à
aborder la question vitale des villes et de leur développement avec le même esprit. Nous
menons une réflexion depuis plusieurs années sur la ville du futur qui s'inspire de ce que
furent les villes pré-industrielles.
Pourquoi construire en pierre massive aujourd'hui ?
À l'heure où les architectures cherchent à briller par le spectaculaire, utilisant des matériaux
inédits « haute performance » censés libérer l'imaginaire de l'architecte, il peut paraître
suranné de construire en pierre. Mon engagement en faveur de ce matériau ancestral se
fonde sur la base des qualités qui lui sont propres. Ces qualités rejoignent les propos de
cette introduction et soutiennent ma recherche d'une construction préservant au mieux
nos conditions de vie sur terre. Le bonheur de nos enfants passe par le maintien, voire
l'amélioration, des conditions de vie sur notre planète. La première des grandes vertus de
la pierre est environnementale. Cela peut paraître paradoxal lorsque l'on sait la bagarre que
les « écologistes » mènent contre les carrières. Une fois de plus, ce raisonnement est erroné.
(...)