Magnus Schäfer
Moi, un Peintre
(extrait, p. 5)
Si, dans les années 2000, la pratique de Michael Krebber concerne la peinture, c'est
moins parce qu'elle est tournée vers la production de tableaux qu'elle interroge
ce que se dire peintre signifie. Cette question d'identification, Krebber l'a rendue
problématique en mettant en scène une relation conflictuelle à la peinture. Chez lui,
le concept de peinture s'apparente plus à un ensemble de projections extérieures et
intérieures, d'attentes et d'attributions, qu'à une palette de conventions matérielles
et discursives avec lesquelles une personne se considérant peintre, ou étant reconnue
comme telle, est censée composer. Ce à quoi Krebber a répondu par le détachement,
adoptant un mode d'articulation formelle qui rend son rapport à la peinture ambigu
et qui lui permit de se repositionner sans cesse. L'image du dandy, à laquelle son
travail et ses écrits font souvent référence, fournit ici un modèle qui fonctionne plus
comme un paradigme de construction de personnalité en constante mutation, luttant
contre le prévisible, c'est-à-dire contre toute forme d'attribution, que comme point
de vue sur une esthétique historique particulière. Comme l'a remarqué Oswald
Wiener, l'attitude du dandy est une posture défensive qui, parce qu'elle évite le catalogage,
demande une certaine technicité — des « astuces »
formelles destinées à
falsifier les attentes éventuelles de l'autre (ou les siennes propres
(1)). Il s'agit moins ici
de questionner la production picturale que le fait de se considérer peintre et donc
de savoir comment se comporter dans une situation donnée.
En 2003, Krebber fait deux expositions à New York à la galerie Greene Naftali.
Il n'a rien montré dans cette ville depuis dix ans et commence par montrer seize
pièces de même format à la palette limitée faites avec des tissus manufacturés tendus
sur châssis : des tableaux sans peinture. L'exposition s'intitule «
Flaggs (Against
Nature) ». Les motifs des tissus représentent divers quadrillages ainsi qu'un cheval
au galop sur fond de paysage au clair de lune variant légèrement. Environ six mois
plus tard est inaugurée l'exposition «
Here It is: The Painting Machine ». A nouveau,
Krebber utilise des tissus manufacturés tendus sur châssis. Cette fois, les imprimés
sont plus variés, les couleurs et décors plus exhubérants et enjoués. Et, détail notable,
Krebber a peint dessus.
(...)
1. Cf. « Eine Art Einzige », in
Riten der Selbstauflösung,
Oswald Wiener et Verena von der Heyden-Rynsh
(éds.), Matthes & Seitz, Munchen, 1982, pp. 35-78.
Des références aux idées et à la terminologie de
Wiener figurent dans de nombreux textes de Krebber