extrait
Editorial
Philippe Chiambaretta
(p. 9)
La revue Stream croise les regards
d'univers distincts pour tenter d'esquisser
et de comprendre les mutations
complexes qui marquent notre époque
et qu'évoquent des notions comme
modernité liquide, réalité hypertextuelle,
ou économie de la connaissance.
L'architecture constitue un prisme
d'observation de ce monde en mutation
et un laboratoire de recherche pour tenter
de résoudre les conflits multiples entre la
réalité d'une globalisation économique
et les impératifs d'un développement
durable.
Le premier numéro de Stream était
consacré à la notion d'Exploration.
L'exploration (scientifique, artistique,
économique) est devenu le nerf de la
guerre du capitalisme de la connaissance.
La création contemporaine, au sens
large, devient ainsi l'un des réacteurs,
un catalyseur et un faire-valoir
de l'économie. Cet arrimage de la création
à l'économie questionne la place de
l'art dans la société contemporaine.
L'exploitation généralisée de l'image
de l'art dans une société qui cherche
à s'approprier ses vertus d'inventivité,
d'audace, de génie créatif conduit à une
domestication qui met en péril sa véritable
fonction critique et politique. Quelle est la
nature de l'ambition réformatrice qui doit
habiter toute architecture au risque de
devenir au mieux du bâtiment, au pire
du spectacle ?
Dans le prolongement de cette réflexion,
Stream 02 se penche sur la question de
l'évolution de nos conditions de travail.
La globalisation des économies, la
révolution permanente des technologies
de la communication et de l'information,
la montée en puissance quasi universelle
des préoccupations environnementales
et, enfin, la crise financière qui secoue
l'économie mondiale sont autant de facteurs susceptibles de transformer
en profondeur notre rapport au travail
et la conception des espaces qui lui sont
consacrés. Les entreprises occidentales
revoient en profondeur leurs méthodes
de management pour faire face à une
impossibilité croissante de prévoir et de
planifier. Le bouleversement permanent
comme quotidien remet en question les
modèles d'organisation antérieurs.
La dématérialisation du travail grâce
à la puissance des NTIC et la
progression des valeurs d'autonomie et
d'indépendance des collaborateurs d'une
part, le bilan carbone global prohibitif des
centres d'affaires d'autre part, conduisent
à questionner la pérennité de la place
traditionnelle de l'immeuble de bureaux
dans sa conception actuelle et, au-delà,
l'organisation de nos villes. Mais la forte
rentabilité d'une industrie immobilière
dominée par la logique financière pousse
les multiples acteurs à poursuivre
la production d'immeubles de bureaux
standardisés dans le monde entier.
Or, ces millions de m2 produits à la chaine
selon une conception tayloriste
de l'économie correspondent-ils vraiment
aux attentes des usagers de demain ?
Tels qu'ils sont conçus et implantés,
participent-ils au développement d'un
modèle de ville durable ?
Les tours de bureaux et les quartiers
d'affaires qui, sur le modèle américain,
continuent de proliférer et de façonner
la silhouette des villes dans le monde
resteront-elles le modèle urbain et
architectural du XXIe siècle ? Symboles
de l'âge post-industriel du capitalisme qui
a vu naître dans le monde des territoires
entiers de friches industrielles, les
quartiers d'affaires seront-ils les friches
tertiaires de l'âge du capitalisme de la
connaissance ?
Y aura-t-il un monde After-Office ?