extrait
Dans les plis des jours
Philippe Cyroulnik
(extrait, p. 5)
Raphaëlle Paupert-Borne peint, dessine, filme, a
fait des performances. Elle utilise la toile et le papier
mais aussi le papier de nos chambres passées, les scènes
de la vie qu'elle saisit dans de petits films qui viennent
enchanter l'ordinaire du monde. Elle peint sur
des photographies trouvées dont elle fait des grands
tirages. Son œuvre se nourrit de son environnement,
des proches et des anonymes croisés au détour des
jours, de ses voyages, des paysages et de ce qu'ils
traduisent comme « cadres » de vie. Il ne s'agit pas
tant de le reproduire que d'en extraire des scènes, des
gestes, des instants, des figures qui vont engendrer des
tableaux et donner forme à un sentiment du monde,
quand il s'incarne dans la peinture. Dans ses dessins,
Raphaëlle Paupert-Borne donne trait à la vivacité de
regards croisés, de rencontres, de scènes de la vie où
se mêlent l'intime et les éclats de monde arrachés à
la foule des passants. Elle en construit la charpente
pour aller à l'essentiel : un regard, un corps dont le
mouvement signe un état, l'esquisse d'un groupe ou
l'écho de ce que l'on nomme une scène de genre. Elle
fait des corps, de leurs mouvements et de leurs gestes
impromptus, des figures et des formes. Ses dessins
ont un aspect jeté, car dans l'urgence de la saisie, il
faut capter l'essentiel d'un présent pour lui conférer
quelque chose d'une condition humaine ; mais sans
emphase ni grandiloquence. Ce sont des gros plans
rapides sur des fragments de corps, des visages et
des groupes mais aussi les mailles du décor que sont
murs, bâtiments, cafés, places et métros qui forment
cette grille urbaine dans laquelle le dessin se déploie.
Dans leur défilement ils constituent des « portraits » de
ville. Ils pourraient presque constituer le storyboard
d'une traversée du monde qui en dessinerait le mouvement
sans jamais la réduire à une histoire. Non pas
un reportage, mais bien un sentiment du monde, une
saisie de sa respiration et de ses blancs. En travaillant
le diaporama, elle les amplifie. Par le mouvement et la
succession des images, elle donne à ses « précipités » du
monde un rythme, une poétique, et en fait un chant.
Elle s'approprie des photographies de paysages proches
du cliché, d'intérieurs standardisés. Elle construit
avec elles des scènes où les fantômes de personnages,
doubles animaliers ou clownesques de nous-mêmes
et de l'artiste, sont l'écho de ce Fafarelle qu'elle peignait
de façon récurrente et qu'elle jouait dans ses performances de clown. Ils viennent les habiter pour
en métamorphoser la banalité et le trivial, les transformer
par le redoublement décalé de nos faits et gestes
les plus anodins. Ils deviennent les indices d'une histoire
sans parole et sans récit, entre le merveilleux et
la mélancolie.
(...)