Éditorial
Jocelyn Robert
coordonnateur invité
(p. 3)
Les auteurs qui ont accepté de contribuer à ce
numéro d'
Inter, art actuel ont été invités à partir
d'une mise en situation qui se lisait à peu près
comme suit : « Les arts médiatiques ont 50 ans. C'est
probablement un bon moment pour se demander
ce qui s'est passé, si ça valait la peine, ce qui se passe
encore, si l'on veut vraiment que se passe ce qu'on
pense qu'il se passera à compter de maintenant. »
C'était un énoncé piégé, parce qu'affirmer que
les arts médiatiques ont 50 ans, c'est annoncer
un parti pris. On pourrait proposer – certains
l'ont fait – que les arts médiatiques commencent
avec la photographie : en France, au début du
XIXe siècle. Mais d'autres diront que la photographie
est un art
semi-médiatique : si un appareil est
nécessaire (?) pour produire l'œuvre, ce n'est pas
le cas pour l'apprécier. Se pointe 50 ans plus tard
le phonographe. Là, pas d'ambiguïté : machine au
départ et machine à l'arrivée. Et pourtant, ni Niépce
ni Edison n'ont cru nécessaire d'inventer l'expression
« arts médiatiques ». Pourquoi ?
Parce que l'action de nommer un champ
d'expertise artistique n'est pas posée en fonction
des outils ou des nécessités techniques, mais pour
des raisons politiques, pour affirmer un droit sur
un territoire : se donner l'autorité de dire « ceci est
de l'art médiatique ; cela n'en est pas ». Or, placer
le début des arts médiatiques il y a 50 ans est,
justement, une revendication politique.
C'est que, jusque-là, les machines de
communication de masse sont lourdes, industrielles.
Si l'on veut considérer non pas les
arts médiatiques
mais les
médias, on peut en placer les débuts avec
l'imprimerie : en Asie, entre le VIIIe et le XIIe siècle ;
en Occident, au milieu du XVe siècle. Il s'agit d'allier
la machine à la communication pour en faire
un phénomène de masse. La photographie et la
phonographie suivent, mais ne proposent pas de principes essentiellement différents, si ce n'est
d'allier la machine à d'autres types de langages. Là
où l'appellation
arts médiatiques devient nécessaire,
c'est quand
John Cage, avec
Variations IV en 1963,
détourne les médias de leur rôle de communication
et reprend le contrôle, personnellement, sur la radio.
C'est quand
Wolf Vostell détourne des postes
de télévision pour les soustraire à la grand-messe
des médias. C'est quand
Nam June Paik prend son
Portapak pour ne pas faire de la télé de masse. Ce
pourrait même être quand Warhol reprend les boîtes
de savon Brillo pour en faire une sculpture.
À partir de là, la communication machinée
échappe à la mainmise de l'industrie et peut
devenir une stratégie artistique. L'appellation
arts
médiatiques ne désigne pas une association d'idées
ou un principe qualifié par un autre : elle désigne
une tension, une zone de combat, deux positions
antagonistes ; d'un côté normative et fabricante
d'icônes, de l'autre déviante et iconoclaste. Et c'est
il y a une cinquantaine d'années que l'affrontement
a commencé. Malgré la multiplication des chaînes
de montage, l'art peut faire d'une boîte de conserve
parmi des millions d'autres un objet singulier.
Au-delà de la réflexion sur le médium et ses
implications, l'intention avec ce numéro est donc
de jeter une passerelle. Inter est une revue dont le
lectorat est féru de performances, de manœuvres,
d'art action, d'art relationnel. Le discours des arts
médiatiques est souvent similaire : interaction,
contact direct, intervention dans la communication
quotidienne… Et pourtant, les deux rives se
prolongent, souvent parallèles, la plupart du temps
sans se toucher.
Il y a, ici, l'occasion d'une rencontre.