Miroirs de faille – À Rome avec Giordano Bruno et Édouard Manet, 1928-29
extrait
Note liminaire
(p. 4-5)
Le projet de publier pour la première fois en français un large
choix de textes d'Aby Warburg constitue un événement éditorial majeur dans le champ des
études consacrées à ce jour, en Europe et ailleurs, au célèbre
historien de l'art allemand.
La collection qui voit le jour avec ce premier volume
se propose de mettre à la disposition du public francophone
un certain nombre d'essais et de notes en partie inédits, et
d'apporter ainsi un éclairage nouveau sur tout un pan des
recherches de Warburg, en apparence fort éloigné du champ
de la culture figurative de la Renaissance.
Warburg, on le sait, vécut dramatiquement la fracture historique
et culturelle de la Première Guerre mondiale. Mais
si l'expérience traumatique de la guerre le plongea dans
une grave crise personnelle, elle l'amena aussi à nouer des
liens nouveaux, et profonds avec des penseurs comme Ernst
Cassirer, Franz Boll et Franz Cumont. L'activité même de la
Bibliothèque Warburg connut à cette période une mutation
profonde. Ce moment marqua également le début d'une
collaboration étroite entre Warburg et son assistante Gertrud
Bing, comme en témoigne le présent volume.
À partir du début des années 1920, Warburg ne cessa
d'approfondir sa vision de l'Antiquité à la faveur d'un double
infléchissement méthodologique : resserrement des liens
entre philologie et histoire d'une part, emprunts à la méthode
anthropologique de l'autre. Warburg parvint ainsi à forger une
conception renouvelée de l'Antiquité, dont il traquait dès lors
l'héritage et les survivances jusqu'à l'époque de Rembrandt.
Ce nouvel « espace de pensée » eut pour effet de raviver son
intérêt pour la question de la migration des symboles ; mais
surtout, il l'invita à retracer les grandes étapes de la lutte de
l'humanité pour son orientation dans le cosmos.
C'est dans cette perspective qu'il convient de resituer
l'intérêt de Warburg pour l'œuvre de Giordano Bruno, à
laquelle il devait consacrer ses ultimes réflexions.
Notre projet éditorial s'attachera ainsi à reparcourir les
grandes étapes de la réflexion de Warburg entre les années
1924 et 1929. Il propose parallèlement de faire découvrir au
lecteur une série de recherches inédites élaborées entre les
années 1900 et 1913, et qui apparaissent comme autant de
points de départ et de jalons essentiels de la pensée warburgienne.
De cette période antérieure datent des écrits aussi
différents que les « fragments sur l'expression », dans lesquels se dessine le projet général d'une grammaire figurative, le
cycle de conférences hambourgeoises de 1908 – 1909 consacrées
à des figures comme Mantegna et Pétrarque, ou encore
les leçons de 1912 sur l'astrologie, où celle-ci se voit définie
comme une volonté de « saisir les phénomènes célestes sous
forme humaine afin de contraindre et d'enfermer la force
démonique dans l'espace d'une image ».
L'éditeur et les directeurs de cette nouvelle édition des écrits
de Warburg ne proposent donc pas seulement d'offrir au
public des spécialistes une approche nouvelle de la pensée
warburgienne ; ils souhaitent également ouvrir un chantier
en contribuant à repenser l'œuvre d'une des figures qui ont
le plus profondément marqué notre tradition culturelle et
figurative.
Maurizio Ghelardi, Susanne Müller, Roland Recht
mars 2011