extrait
(p. 14-18)
L'obsidienne, le verre des volcans, solide et très coupante, noire et opaque, était l'un des trésors du Néolithique. À cette époque, Lipari en était le plus grand centre de production d'Occident. Les fines et fragiles lames des armes étaient exportées dans tout le bassin occidental de la Méditerranée, mais ce commerce a vite sombré avec la découverte des métaux.
Les mines d'obsidienne restèrent alors inexploitées. Le brutal réveil du volcan au cours du haut Moyen Âge a recouvert l'île d'une coulée de ponce, ce qui a enterré à jamais les gisements d'obsidienne. L'île blanche est née.
Avant de repartir, je regarde les blocs de pierre ponce plus légers que l'eau dériver en icebergs autour du rivage. Mademoiselle Cavalier me tend un sac de sable blanc en me lançant cette phrase, comme un défi : « celui qui pourra refondre la pierre ponce en tirera l'obsidienne ». Comme si chacune de ces deux matières avaient et étaient ensemble leur propre revers.
Comment, de retour à Paris et obsédé par cet oracle pythique, faire revivre, à partir de ce sable blanc, cette roche plutonique noire ? Je contacte alors le Centre international de recherche sur le verre de Marseille, pour leur proposer le projet de refondre la pierre ponce de Lipari et de recréer de l'obsidienne, disparue il y a treize siècles.
Conquis par mon désir d'exhumer les cristaux du temps passé, de vouloir ramener au jour la chose prodigieuse du tombeau aristotélicien, ils ont travaillé plus de deux années, cherchant à simuler les conditions d'une éruption en laboratoire. Ils devaient retrouver la fluidité de la lave, la pression et la rapidité au refroidissement pour éviter la cristallisation et favoriser la vitrification. Les fours à Marseille n'étant pas assez puissants, c'est à Paris chez Saint Gobain Recherches que nous avons terminé les expérimentations de cette métamorphose.
Mais quel sens et quelle forme donner à l'objet qui naîtra de cette recherche ? J'ai repensé à la première image de ce voyage initiatique,
au volcan noir posé sur l'eau, à son cratère face au ciel comme le reflet d'un oeil céleste, à cette forme de doubles cônes inversés, qui s'engendre elle-même comme une contrepèterie visuelle.
De là, une sculpture noire, Le Contrepet : l'obsidienne céleste, secrète et aveuglante prend la forme du volcan lui-même.
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