Avant-propos
Thierry Davila et Pierre Sauvanet
(p. 7-10)
Les 6 et 7 octobre 2006, à l'instigation de
Thierry Davila et de Pierre
Sauvanet, avec l'appui de
Maurice Fréchuret alors directeur de l'institution,
s'est tenu au capcMusée d'art contemporain de Bordeaux, en
liaison avec le Centre de recherches ARTES de l'université de
Bordeaux-3, un colloque entièrement consacré à l'œuvre de Georges
Didi-Huberman. il ne s'agissait pas, certes, de la première rencontre
de ce genre
(1), mais sans doute de la première à réunir autant d'intervenants
divers autour de et surtout
avec un penseur qui aura su renouveler
en profondeur la pratique de l'histoire de l'art.
Le présent volume entend donc constituer une trace précise de ce
colloque, en même temps qu'il espère en prolonger l'écho, grâce à de
nouvelles contributions et auprès de nouveaux lecteurs. Même s'il est
inutile de présenter ici l'objet, c'est-à-dire en l'occurrence le « sujet » de
nos recherches, quelques précisions liminaires ne seront peut-être pas
de trop.
Depuis le début des années 1980, Georges Didi-Huberman, philosophe
et historien de l'art, enseignant à l'école des hautes études en
sciences sociales, s'attache à penser le devenir des images et plus
généralement le travail des formes avec des outils théoriques empruntés
à des champs de recherche multiples (philosophie, anthropologie,
histoire de l'art, psychanalyse…) et pour des périodes historiques très
diverses (renaissance, XiXe siècle, art moderne, art contemporain…). La fécondité de cette pensée, la richesse des propositions théoriques
qu'elle a su inventer, en font aujourd'hui une référence dans le champ
de l'histoire et de la théorie de l'art. Ce colloque se proposait de réfléchir,
avec Georges Didi-Huberman présent durant ces deux jours, à
l'outil que représente cette recherche et à l'une des questions fondamentales
qu'elle ne cesse d'explorer : devant les images, qu'est-ce que
regarder veut dire ? Qu'est-ce que penser l'action de regarder, si ce n'est
précisément regarder cette pensée comme une action ? regarder : un
penser en acte ?
L'une des caractéristiques de l'œuvre de Georges Didi-Huberman,
maintes fois rappelée pendant ces deux journées d'échange et dans les
textes qui suivent, est de pratiquer une forme savante de décloisonnement
des recherches, tout en respectant des méthodes de travail très
différentes. C'est ainsi que les essais très denses sur les contemporains
(Hantaï, Penone, Turrell, etc.) ne sont pas gravés du même style, et
n'avancent pas au même pas, que les textes théoriques très approfondis
(pour ne citer que cette trilogie, dont le titre même de ce recueil s'inspire
à l'évidence:
Devant l'image, Devant le temps, L'Image survivante (2)).
En même temps, tous ces ouvrages font bien partie d'un même œuvre,
pour le moins déjà impressionnant, et toujours, faut-il le rappeler,
in
progress… – et nous de progresser avec lui. Ainsi, de même que le
présent et le passé s'éclairent mutuellement, de même dans la pratique
de la pensée didi-hubermanienne, la philosophie et la psychanalyse,
notamment, éclairent-elles l'histoire de l'art d'un jour nouveau (ne
serait-ce qu'à son corps défendant), sans oublier, entre autres, l'orientation
politique des ouvrages parus entre-temps (
Quand les images
prennent position, Survivance des lucioles, Remontages du temps subi (3)).
Autant dire que l'organisation même de ce volume, prenant acte du
colloque tout en le prolongeant, n'allait pas de soi. un premier mouvement
aurait volontiers conservé l'ordre des interventions, mais tous les
intervenants ne souhaitaient pas nécessairement publier un texte (que
Jean-Pierre Criqui, Elie During, Philippe-Alain Michaud et Dominique
Païni soient au moins ici chaleureusement remerciés de leur présence à
Bordeaux). un second mouvement aurait permis d'articuler ces actes
autour de trois « blocs de pensée » (histoire de l'art et anthropologie des
images ; esthétique et philosophie de l'art ; art et politique en un sens
élargi). or c'eût été précisément aller à l'encontre de leur objet : penser
avec Georges Didi-Huberman, avec « GDH » si l'on ose employer
l'acronyme, cela veut dire également chercher toujours plusieurs
montages possibles.
C'est pourquoi, finalement, l'ordre alphabétique des contributeurs
s'est révélé à la fois le plus simple et le plus heuristique : s'ouvrant du
même coup avec le bref et suggestif texte de Pascal Convert, se concluant
apparemment avec le long et stimulant envoi de
Bernard Vouilloux,
avant de s'ouvrir à nouveau avec la lettre de Laura waddington, ce
volume contient pas moins de treize textes, dont les résonances seront
laissées aux heureux hasards de l'alphabet. Dans cet ordre strict, comme
« encadré » par deux textes d'artistes, Georges Didi-Huberman se
retrouve ainsi parmi les siens, nous faisant l'amitié de participer non
seulement à la précédente rencontre (au cours de laquelle il intervint
lui-même après chaque exposé), mais encore à la présente publication,
à travers un texte inédit. voilà bien, enfin, ce qui s'appelle penser
avec quelqu'un… C'est tout le bonheur que nous vous souhaitons à cette
lecture.
1 Cf. notamment
Penser par les images. Autour des travaux de Georges Didi-Huberman, L. zimmermann (dir.), nantes, Cécile Defaut, 2006.
2 Cf. G. Didi-Huberman,
Devant l'image. Question posée aux fins d'une histoire
de l'art, Paris, Minuit, 1990; Devant le temps. Histoire de l'art et anachronisme des
images, Paris, Minuit, 2000 ; L'Image survivante. Histoire de l'art et temps des
fantômes selon Aby Warburg, Paris, Minuit, 2002.
3 Cf. G. Didi-Huberman,
Quand les images prennent position. L'œil de l'histoire,
1, Paris, Minuit, 2009 ;
Survivance des lucioles, Paris, Minuit, 2009 ;
Remontages
du temps subi. L'œil de l'histoire, 2, Paris, Minuit, 2010.