Initials P.P.
Bernard Marcadé
(extrait, p. 37-39)
« C'est joli ! (Iris Clert)
– Où avez-vous trouvé ce papier ?
– A Bordeaux…
– Ah ! à Bordeaux… (on sent le soulagement).
Surtout ne pas décourager. On ne trouve ce papier qu'à Bordeaux, à Bordeaux, qu'en banlieue, en banlieue que chez les coiffeurs.
Si ce n'était que ça, pas de quoi fouetter un chat. » (1)
Plus qu'un groupe ou un collectif d'artistes,
Présence Panchounette est depuis sa
création une entité qui relève plus de l'
association de malfaiteurs que du groupe
radical d'avant-garde. Six individus peuvent ainsi s'autoriser de cette mouvance,
soit, par ordre alphabétique : Christian Baillet, Pierre Cocrelle, Didier Dumay,
Michel Ferrière, Jean-Yves Gros et
Frédéric Roux. Auxquels on peut ajouter
Jacques Soulillou, qui ne fut pas à proprement parler un membre attitré de P.P.,
mais qui en fut le compagnon de route occulte et théorique. Même si, au fil
du temps, Frédéric Roux a fini par devenir une manière de porte-parole
de cette association, il est difficile de déterminer un leader. Car P.P. est restée,
de sa création à son autodissolution en 1990, non une organisation artistique
ou culturelle, mais plutôt un groupement de copains (« ceux, assis au bout
du banc ») déconneurs, plus proche des Pieds nickelés que des mouvements
artistiques autoproclamés (type nouveaux réalistes ou Supports-Surfaces).
La naissance de P.P. est elle-même soumise aux approximations les plus grandes.
Officiellement, c'est en 1969 que se constitue à Bordeaux l'
Internationale
Panchounette, « dans un quartier promis à la rénovation ». Mais en réalité c'est
au cours de l'occupation de la faculté de lettres en 1968 que Jean-Yves Gros,
Didier Dumay et Frédéric Roux se rencontrèrent. « Dans une manifestation
(performance collective assez usitée cette année-là), trois clochards intellectuels
scandent : “Paix en Algérie !” Le rang de devant et celui de derrière clament :
“Nous sommes tous des Juifs allemands !” Le malentendu s'installe. »
(2)
C'est en effet sous le signe du malentendu que se constitue ce qu'il faut bien appeler
un
acoquinement entre des individus essentiellement liés par un même goût pour
l'
intempestif. Les trois compères refusent en effet les mots d'ordre bien-pensants
qui fleurissent alors dans toutes les universités de la planète occidentale. Et c'est
avec une certaine allégresse qu'ils sabordent et sabotent les slogans des différentes
obédiences gauchistes (essentiellement maoïstes et trotskistes) de l'époque. Même si l'influence de l'Internationale Situationniste est flagrante dans leurs
premières positions officielles, ils en sapent néanmoins joyeusement les fondements
théoriques. On n'adhère pas à P.P. comme on adhère aux J.C.R.
(3) ou à l'U.J.C.M.L.
(4),
à l'I.S. ou au surréalisme. Du même coup, nulle exclusion n'est à mettre au crédit
de cette mouvance qui se revendique plus de la blague potachique que du projet
politique et révolutionnaire.
En témoigne le
Manifeste (5) Panchounette de 1969 : « L'Internationale Panchounette
n'a pas pour but la subversion. Dans le Monde où les gens qui le confortent de la
main droite reconnaissent de la main gauche la nécessité de le changer, elle est la
seule Internationale qui trouve que TOUT VA BIEN »
(6). P.P. se moque dès le départ
de l'idéologie absolutiste et radicale qui constitue alors la figure imposée du monde
étudiant et dont Dada constitue la référence obligée. « Le manifeste panchounette
est écrit avec présent à l'esprit l'image de Georges Bataille retroussant ses manches
de lustrine pour guillotiner Dada d'une seule formule : “Pas assez idiot”.
Quant à l'Internationale Panchounette, elle aspire à l'idiotie totale, à tendre
même au mongolisme. »
(7)
(...)
1. P.P., « Tableaux d'une
exposition », repris in
Présence Panchounette,
Œuvres Choisies, Vol. 1,
Centre Régional d'art
Midi-Pyrénées / Musée des
Beaux-Arts de Calais, 1987,
p. 35.
2. « Bilan d'activités »,
1968-1990.
3. Jeunesses communistes révolutionnaires,
organisation trotskiste de la
fin des années 60.
4. Union des jeunesses
communistes marxistesléninistes,
organisation
maoïste de la fin des
années 60 qui préfigura la
Gauche prolétarienne.
5. « Tout groupe artistique
devait avoir un manifeste,
comme tout groupe de rock
devait avoir une Fender »,
dixit
Frédéric Roux à
Charlotte Laubard au mois
de janvier 2008.
6.
Manifeste Panchounette,
1969, repris in
Présence Panchounette,
Œuvres Choisies, Tome 1, op.cit.,
p. 56.
7.
Manifeste Panchounette,
op.cit.,
p. 56.