Publier les écrits d'un compositeur tel que Morton Feldman
relève d'une gageure à laquelle nous avons résisté avec bonheur
et enthousiasme. Figure à la fois insolite et singulière de la création
musicale contemporaine, il nous a semblé nécessaire de
publier des textes qui représentent, non seulement un lieu de
confrontations entre notamment la musique et les arts plastiques,
mais aussi une forme de soliloque dans laquelle on perçoit
des préoccupations que plusieurs générations d'artistes ont
partagées. Compositeur marginal ? D'aucuns ont en effet appréhendé
l'œuvre et la personnalité de Morton Feldman comme
essentiellement marquées par une originalité qui ne pouvait en
aucune manière faire école. Or, et c'est bien là la pertinence de
ces écrits, Morton Feldman fut de ceux qui ont fustigé les querelles
épigonales et défendu, non pas des principes d'originalité
au nom d'une liberté créatrice, mais des principes axés sur des
nécessités individuelles, pouvant le cas échéant entrer en résonance
avec notre monde environnant. Aussi, cette figure solitaire
et paradigmatique aura-t-elle, peut-être même à son insu,
répandu autour d'elle non pas une méthode de composition, ou
un comportement théorique, encore moins des règles esthétiques,
mais ce que l'on pourrait appeler une éthique personnelle :
la conviction que dans les arts en général, et dans la musique
en particulier, chaque projet, chaque initiative est à creuser, à
condition de mettre en œuvre une exigence sans compromis
idéologique.