les presses du réel

Mouvement #100

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Editorial
(p. 1)


Quand on a récupéré les clés de la boutique, il y a quatre ans, on se disait : « On fait un numéro et puis on voit. » On a vu, ça nous a plu et les lecteurs ont suivi. On s'est donc octroyé un sursis : « On va jusqu'au n° 100 et puis on verra. » Seulement, en 26 numéros, on s'est rendu compte que le métier qu'on s'était bricolé – « faire du magazine à l'ancienne » – n'existait plus vraiment ailleurs : écrire sur la culture, sans nous préoccuper des timings promotionnels ou des passages obligés du cool, ni nous demander si nos articles convien-dront à l'agence média de Land Rover. Alors s'il y a un côté roman-tique à penser que Mouvement est l'anomalie d'un modèle en voie de disparition, ça n'a pas si peu de panache. Et tant pis pour cette im-pression, qu'à se battre contre tous les moulins, on est plus proches de Don Quichotte que des putains de Trois Mousquetaires.

L'étrange silence du milieu de la danse sur le harcèlement sexuel est l'un de ces moulins. Au moment de lancer l'enquête publiée dans ces pages, le milieu journalistique mimait de lancer son introspec-tion mais laissait un goût amer en bouche, et nos interrogations en sourdine : comment raconter ce qui se chuchote dans les vestiaires sans tomber dans la délation et la violence des listes ? Comment décrire sans basculer dans l'étalage de détails scabreux ; mettre des mots sur l'impalpable et franchir les barrières de la culpabilité ? Comment ne pas stagner au stade de la rumeur tout en protégeant les victimes qui osent parler et craignent les répercussions d'un secteur professionnel où tout le monde se connaît ? « Ce n'est plus le temps de la description, c'est le temps de l'analyse », nous disait un interlocuteur clé en retirant, au dernier moment, son témoignage. Accablant, ce dernier explicitait les rouages de domination sur les-quels fonctionnent certaines compagnies : pressions continues, chantage, humiliations, complicité des collègues. Tout ce qu'un interprète passionné peut se convaincre d'avoir accepté pour saisir la « chance » de danser avec les plus grands. En centrant notre analyse sur l'ambiguïté de la relation de désir qui unit danseurs et choré-graphes, nous avons essayé, modestement, de poser notre pierre à l'édifice d'un débat qui peine à s'ouvrir.

Aïnhoa Jean-Calmettes & Jean-Roch de Logivière
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