Deux extraits du chapitre
Amour et socialité
pp. 205-212
Dans
Le Nouveau monde industriel et sociétaire, comme dans
Le nouveau
monde amoureux, l'auteur assène un credo unique : la loi et la religion n'admettent
en amour qu'un but : la procréation ; elles exigent que le lien soit
matériellement consommé dans cette perspective, et non borné au sentiment
pur. Parce que la politique et la morale sont impuissantes à vanter l'attraction
industrielle, elles ont recours à cette ruse qui consiste à louer les charmes
du mariage sans fortune. « Ce piège est le but secret des moralistes (…) ils
y poussent le peuple, afin d'avoir abondance de conscrits et d'ouvriers faméliques
travaillant à vil prix, pour enrichir quelques chefs
(126) », affirme Fourier.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la liberté en amour n'est pas compatible
avec l'ordre civilisé ou barbare. La « pullulation de la populace
(127) » est ce
qui importe le plus, de sorte que la duperie morale – la glorification du
mariage ou monogamie asservie – déguise la duperie politique. Les amours
libres n'existent en civilisation qu'avec « les courtisanes qui ne sont évidemment
rien moins que fidèles avec leurs amants
(128) ». Contredire les préjugés,
telle est la première tâche de la critique sociétaire.
En matière d'amour, il faut éviter le ton dogmatique : « J'attaquerai les préjugés
dont chacun est l'ennemi secret puisque leur chute procurerait à chacun
les biens qu'il désire
(129). » Le plus puissant d'entre eux concerne l'éducation
et la condition des femmes : c'est la clef de voûte de tout le système des amours ; si la jeune fille n'est qu'une « marchandise exposée à la vente »,
réservée à celui qui veut en négocier l'acquisition et la propriété exclusive,
c'est d'abord parce que « le consentement qu'elle donne au lien conjugal
(est dérivé et forcé) par la tyrannie des préjugés qui l'obsèdent dès son
enfance
(130) ». Selon Fourier, les nations les meilleures furent toujours celles
qui accordèrent aux femmes la plus grande liberté, et les plus vicieuses (les
Chinois) ont toujours été celles qui asservissaient davantage le sexe féminin.
Il expose comme thèse générale une idée, dont Friedrich Engels soulignera
la force dans l'
Anti-Dürhing : « Les progrès sociaux et changements de
période s'opèrent en raison de progrès des femmes vers la liberté, et les décadences
d'ordre social s'opèrent en raison du décroissement de la liberté des
femmes
(131) » ou encore : « l'extension des privilèges des femmes est le principe
général de tous les progrès sociaux
(132) ». Afin d'avancer résolument dans
cette direction, Fourier suggère une première mesure d'équité à l'égard des
femmes, leur accorder une
Majorité amoureuse dès l'âge de dix-huit ans.
Dans un cahier antérieur à la
Théorie des quatre mouvements , il invite à donner
aux concubines une existence légale et des droits civils (question qui
préoccupe depuis quelques années à peine le législateur). Et il s'insurge
contre la domination exclusivement masculine des hommes sur la politique,
ce qui explique assez bien que jamais aucun pouvoir ne se soit occupé
d'étendre les droits du sexe féminin. « Obtenir pour les femmes le libre exercice
de l'amour
(133) » est la seule innovation susceptible d'ouvrir pourtant la
voie à tous les heureux changements que permet le mécanisme sociétaire.
La majorité amoureuse scinderait les femmes de la civilisation en deux
groupes : les
Jouvencelles, au-dessous de dix-huit ans et les
Émancipées, audessus
de cet âge, celles-ci acquerraient le droit d'avoir des amants. Sur le
plan politique, la femme est très supérieure à l'homme : « sur huit femmes
souveraines, libres et sans époux, il en est sept qui ont régné avec gloire, tandis
que sur huit rois on compte habituellement sept souverains faibles
(134) ». Pareille conviction, au début du siècle dernier, pouvait conduire plus sûrement
son propagateur à l'asile qu'à l'Académie. Quant à la fameuse théorie
du caractère vicieux inné chez la femme civilisée, autant juger de la nature
de l'homme par le caractère du paysan russe ou de l'hébétement des castors,
réduits à l'état domestique, tandis qu'ils deviendront les plus intelligents de
tous les quadrupèdes dans l'ordre libre du travail combiné. En conclusion,
Fourier le clame : « La femme, en état de liberté, surpassera l'homme dans
toutes les fonctions d'esprit ou de corps qui ne sont pas l'attribut de la force
physique
(135). » Il n'est pas difficile de comprendre l'admiration que porteront
les premières féministes, comme Flora Tristan, au mécanicien de l'attraction
passionnée. L'origine des préjugés qui retardent l'émancipation des femmes
procède de trois incidents, formant un tissu de fatalités : l'introduction de
la maladie vénérienne, toujours prétexte facile à restreindre la liberté de liaison
entre les sexes, l'influence du catholicisme et de ses dogmes « ennemis
de la volupté », et la naissance du mahométisme, « aggravant l'infortune et
la dégradation des femmes barbares
(136) ». Pour les femmes assujetties à ce
monde à rebours, il ne reste que la
garantie subversive, tactique presque
militaire
(137) de conquêtes au milieu de la « confusion amoureuse ». En l'absence
de
garanties amoureuses, les coutumes civilisées obligent les jeunes
filles à maquiller leur renommée, à jouer la pratique apparente de la vertu ;
dans ce domaine, les plus licencieuses sont évidemment les plus habiles. La
galante ensorcellera toujours un épouseur, alors que la malheureuse qui
n'aura eu que deux amants restera délaissée. Car « si toute copulation, hors
du mariage, est crime selon les philosophes, il devient nécessaire de tout nier
et de tromper sans cesse
(138) ». On ne s'étonnera donc point de trouver en
Fourier un éloquent avocat en faveur d'une loi très libérale sur le divorce
(139).
En attendant de sortir de ce cercle vicieux de masques, de secrets et de mensonges
pour atteindre les cycles vertueux de l'Harmonie, sans doute marqué
par un modèle médiéval idéalisé, et toujours en quête de catégories bien délimitées,
l'auteur de la
Théorie des quatre mouvements subdivise les femmes
émancipées en trois corporations : 1°) les Épouses ; 2°) les Damoiselles ou Demi-dames qui changent successivement et avec régularité fixe de partenaires
; 3°) les Galantes, dont le statut sera encore moins rigoureux
(140). À la
confusion qui prévaut en civilisation, les corporations ainsi définies offrent
« le moindre des développements réguliers qu'on puisse donner aux relations
amoureuses
(141) ». Le but de cette distinction est de permettre le passage du
Ménage incohérent au
Ménage progressif, qui sera la méthode d'union des
personnes en septième période, préparant en civilisation le
Ménage combiné
en usage dans les dix-huit périodes d'Harmonie Universelle
(142). Les principaux
grades dans le Ménage progressif sont : les Favoris et Favorites en
titre ; les Géniteurs et Génitrices ; les Époux et les Épouses. Une femme peut
par exemple avoir un Époux dont elle a deux enfants, un géniteur dont elle
n'a qu'un enfant et un Favori qui a vécu avec elle et conserve le titre
(« plus de simples possesseurs, qui ne sont rien devant la loi
(143) », à la différence
des précédents). Dans cette période, facile à organiser selon Fourier,
la liberté amoureuse transforme en vertus la plupart de nos vices, établit une
grande courtoisie et une fidélité aux engagements qui ne doit plus rien aux
contraintes économiques, à la pression morale du milieu social ou de
famille, à la comédie des réputations. Dans sa minutieuse et permanente
observation de la vie quotidienne, l'architecte des phalanstères devine déjà un « germe imperceptible » de ménage progressif à travers les
Cercles ou
Casinos d'hommes et de femmes qui désertent les soirées de famille au profit
de plaisirs économiques d'argent et de fatigue. L'œuvre la plus pacifique sera
d'imposer paisiblement des Droits de la femme, au lieu de ravager la terre
pour l'honneur des Droits de l'homme
(144). Au demeurant, Fourier ne remet
point en cause la compétence de l'homme dans plusieurs aspects de la vie
domestique, par exemple « le soin des caves
(145) ». Tout chef de maison doit
être initié à l'oenologie, car les trois-quarts des ménages sont, selon lui, fort
mal abreuvés, approvisionnés en vins frelatés et mal soignés par les « phénix
de fourberie » que sont les marchands de vins et les sommeliers mercenaires.
Les progrès de l'esprit mercantile ont transformé le vigneron en droguiste ;
en 1835, on peut lire dans
La fausse industrie une appréciation sur les vins
de Bordeaux qui confirme l'ancienneté de mauvaises habitudes aujourd'hui
encore mal réparées : « Dans une auberge d'Anvers, mon voisin de table me
fit goûter d'un Bordeaux qui, payé cinq francs à l'hôte, valait à peine cinq
sous : il sortait d'un des trois coteaux du Rhône, dont le produit est expédié
en entier à Bordeaux. Là, mêlé au vin épais de mauvais crû, il imite assez
le Bordeaux (…). Quelquefois, c'est un Bordeaux Moral qui a un bon tiers
d'eau pour modérer les passions ; et qui perd, par cette contrebande morale,
son bouquet, sa vinosité
(146). » Ce passage est intéressant car il montre l'omniprésence
du thème de la tromperie, du masque et du mensonge social, qui est
le vecteur de la critique fouriériste d'une civilisation, au premier chef coupable
de dénaturer les plaisirs et le goût. Le Ménage progressif devra aboutir à un
système de tribus, préfigurant celui des séries de l'Harmonie ; ces tribus associeront
des personnes inégales en fortune et n'admettront aucun statut coercitif,
aucune règle monastique, et ont pour fonction de rapprocher les contrastes et
d'extirper trois vices : l'uniformité, la tiédeur et la médiocrité
(147). En outre, les vieillards n'auront qu'à se louer de ce nouvel ordre, ainsi que les enfants,
car la civilisation n'offre pas de fonctions convenables aux deux âges
extrêmes, abandonnés à la charge du corps social. Fourier est l'un des
rares, si ce n'est le seul, au XXe siècle, à poser en termes sociaux (sociologiques
?) le problème de la vieillesse et du vieillissement. Il remarque
leurs conditions diverses ; dans les familles riches où l'on n'attend d'autre
service que leur héritage, chez le peuple et le paysan qui « dans l'ironie générale
leur reproche à chaque pas leur inutile existence
(148) », tous sont méprisés,
persiflés « en secret », poussés dans la tombe. Ce scandale cessera, assure
Fourier, dans le Ménage progressif qui donnera aux vieillards – ainsi qu'aux
enfants – des fonctions non moins utiles que celles des hommes valides.
C'est le dessein de la politique, dont le but est de fonder le bonheur domestique
et d'opposer la pratique de la vérité aux astuces et perfidies qui
engendrent la discorde
(149).
Considérant que le mariage est un lien où le viol et le plaisir brut deviennent
légaux, dans lequel le principe matériel ou la lubricité triomphe égoïstement
de la céladonie, de l'amour sentimental, Fourier dénonce la famille. De tous
les systèmes d'association, la famille est le plus restreint. Avec le commerce
et la concurrence qui font de l'homme un adversaire de tous ses semblables,
la famille est devenue « l'ennemie secret de toutes les autres familles
(150) ».
« Dès que les familles jouissent de la liberté, elles sont en guerre intestine
et en guerre extérieure, comme on le voit en Corse et autres pays patriarcaux,
où les familles ont leurs guerres et traités comme les souverains civilisés
(151) »,
note-t-il.
Le nouveau monde industriel et sociétaire dresse un réquisitoire
sans appel sur « l'industrie familiale, société la plus petite possible et, par
suite, la plus opposée aux vues de Dieu, à l'économie, aux liens
(152) ». Elle
nourrit au moins cinq facteurs du germe de discorde générale. L'
instabilité,
le décès accidentel du chef de famille désorganise toutes ses entreprises :
« ses plantations seront abandonnées, morcelées (…), sa bibliothèque ira au bouquiniste et ses tableaux au fripier
(153) ». La
contrariété en progéniture :
l'homme industrieux, qui voudrait au moins un fils pour le remplacer,
n'aura que des filles (ou des garçons illégitimes proscrits par la loi).
Les disgrâces
conjugales et domestiques et le
Piège industriel ont été précédemment
évoqués, enfin la
Répugnance cumulative de l'industrie correspondant
au rejet conscient ou non conscient du travail que Paul Lafargue, le gendre
de Karl Marx, applaudit dans
Le droit à la paresse (1880)
(154). La table des
vices de la famille, qui résultent de ces cinq agents de dysharmonie, sont au
nombre de sept : 1°) Le despotisme paternel qui favorise arbitrairement certains
de ses enfants parmi les autres. 2°) Une épouse opprimée qui cherche
« en secret » à tromper sur la fidélité l'époux qui viole ouvertement ce
contrat par des maîtresses connues et des concubines affichées. 3°) Des enfants
qui attendent l'héritage en supportant impatiemment le joug. 4°) Des frères
désunis par les droits d'aînesse et les préférences paternelles. 5°) Des valets
mécontents, toujours prêts à les dénoncer en révolution. 6°) Des parents qui
se méconnaissent au-dehors. 7°) Des bâtards, abandonnés par leur véritable
père et éliminés par la loi comme par la famille, toutes deux iniques sur cette
infamie
(155). La violence de la critique fouriériste débouche sur la mise en
exergue des dangers de l'autoritarisme du père à l'intérieur du foyer :
« Le lien de famille, en régime civilisé, excite les pères à désirer la mort des
enfants, et les enfants à désirer la mort des pères
(156). » Cette appréciation
excessive doit être située dans le contexte du XIXe siècle, l'opposition des
caractères et des intérêts menait souvent à la méfiance et à la haine. Il ne fait
aucun doute quant à cet aspect extrême, que Fourier appuie son jugement
sur des « affaires » traitées par les tribunaux ou relatées par la presse. À l'occasion
du procès de Violette Nozières, le célèbre professeur Magnus Hirschfeld,
directeur de l'Institut de sexologie de Berlin, expliquera que les jeunes parricides
se vengent d'une atmosphère familiale insupportable, et que d'une
manière générale, le facteur sexuel est prépondérant, voire le mobile du
crime lui-même (Vu, le 6 septembre 1933, n° 286, p. 1387). Telles sont les conséquences les plus graves et les moins pardonnables de l'état conjugal
des civilisés. L'analyse régulière du mal conduit à considérer celui-ci
comme la base de notre système social, le couple qui est la petite combinaison
possible, est un obstacle aux grandes combinaisons sociétaires, le
lien de famille
simple, limité à une seule branche, est pour ainsi dire
homogène avec la civilisation
(157).
pp. 241-248
On note la prudence de Charles Fourier qui s'attaque au mariage, au couple
et à la famille dans la civilisation, mais ne prône pas leur abolition pur et simple
et cherche dans l'association une nouvelle forme, dégagée du mensonge et du commerce, conforme à leur réalité
(275). Le lien conjugal doit rester facultatif
pour les couples qui le souhaitent (c'est l'idée de l'union libre ou du
concubinage légalement reconnu) ; d'ailleurs, Fourier imagine la coutume des
« trêves conjugales, ou suspens de fidélité, pour un temps convenu », enregistré
par la chancellerie de la cour d'amour. Pour éviter les « attrapes » ou les lendemains
qui déchantent, les titres conjugaux en Harmonie ne s'acquièrent que
sur des épreuves suffisantes, et ne sont pas exclusifs, ce sont des « appâts de
courtoisie » entre libres conjoints. Dans
Le nouveau
monde amoureux, la
polygamie est glorifiée, « hideuse chenille » en civilisation, dans les sociétés
de limbes, elle doit se muer en « superbe papillon » grâce au mécanisme sociétaire.
Fourier pense que « l'inconstance est (…) par le fait nature du genre
humain ; il doit l'aimer non seulement comme destinée générale (sauf les
exceptions), mais en outre comme le gage des plus sublimes vertus
(276) ». La
démonstration est statistique : toute jolie femme, pour un époux ou un amant
qui lui recommande la fidélité, rencontre vingt poursuivants qui lui conseillent
l'infidélité qu'a suggérée son mari à vingt autres avant elle. Dans ces
conditions, on remarquera que le 19/20e des « champions en amour » est partisan
de l'infidélité, au moins dans le fort de l'âge galant, situé par l'auteur entre
vingt-cinq et trente ans, et que les femmes doivent la pratiquer pour être d'accord
avec le comportement masculin
(277). Il s'agit de passer de la
fidélité simpleà la
fidélité composée, d'éteindre la jalousie par l'« amitié corporative » que
l'on doit à l'ensemble des êtres dont on a eu jouissance. En bref, sortir de la
cohabitation exclusive et de sa « propriété très infâme » qui se traduit dans l'oubli
successif et l'ingratitude, tels qu'on les connaît encore où l'on se croit obliger
de renier ceux que l'on avait auparavant adorés dès que l'on aime une nouvelle
personne. C'est le cas du monogyme qui vante une rigoureuse fidélité et l'observe
scrupuleusement tant que subsiste le désir amoureux, après la disparition
de celui-ci, il se drape dans une parfaite indifférence vis-à-vis du sujet naguère
élu de son coeur. Cette conduite est non seulement très méprisable, selon Fourier,
mais en outre anti-sociale en ce qu'elle efface toute trace des liens. En
résumé, « l'inconstance devient exempte de dangers et utile quand elle laisse
après elle des liens d'amitié (…)
(278) » ; par là, elle permet de fonder, d'après la théorie du Nouveau monde amoureux une fraternité concrète et une bienveillance
générale. D'ailleurs, dans l'esprit de Fourier, l'inconstance s'oppose
à la fidélité simple, et non à la fidélité transcendante, de même que la fidélité
composée est le contraire de l'adultère civilisé ou de la polygamie barbare.
Et il ne prétend pas imposer de force à tous les individus la polygamie ; avec
une évidente lucidité, il pense que les moeurs polygames et omnigames
seront l'ouvrage du temps
(279). En Harmonie, aucune contrainte n'empêche une
personne de rester célibataire ou de pratiquer la monogamie en couple
fermé ; dans la catégorie de l'
Angélicat, l'amour égoïste trouvera un moyen
de s'épanouir, d'autant que les fonctions du faquirat et bayaderat auront
atteint un degré suffisant pour satisfaire la masse dépourvue sur le plan sexuel
et sentimental (vieillards, handicapés, êtres disgracieux, etc.) et que ce mode
religieux et charitable de lien général fera que les amours égoïstes n'auront
rien d'odieux
(280). Les célibataires ou les monogames se priveront simplement
d'eux-mêmes, par un choix libre et volontaire, des honneurs, des héritages
et plaisirs qu'assure la monogamie.
Pour réconcilier (ou composer) l'inconstance avec la fidélité, Fourier
invente l'amour « pivotal » qui consacre une « fidélité transcendantale »,
dont la noblesse surmonte la jalousie et les pressions morales propres aux
amours ordinaires. « L'on sert avec un plein dévouement les intérêts de la
‘pivotale' (…) même après la cessation des liaisons d'amour sensuel
(281). »
En civilisation, les rencontres pivotales demeurent rares parce que les
amours ne marchent qu'au hasard et de façon désordonné, qu'aucune
méthode ne vient gérer les assortiments gradués de chacun : « Tel passera
des années sans trouver une pivotale, tel autre en découvre d'emblée et ne
peut pas la courtiser par obstacle de mariage, de fortune, etc.
(282) » Tandis qu'en Harmonie, nous verrons un polygyne, changeant fréquemment de maîtresse,
aimant par alternat, soit plusieurs femmes à la fois, ou une seule
exclusivement, entretenir une vive passion pour quelque « pivotale » à
laquelle il revient périodiquement. « C'est une amante de charme permanent
et pour qui il ressent de l'amour même au plus fort des passions qui le rendent
insouciant pour ses favorites de l'alternat précédent
(283) » explique Fourier, il
s'agit donc d'un lien d'ordre supérieur, dit lien de foyer, ou constance
composée qui s'identifie avec les inconstances et infidélités, et appelé pour
cette raison
fidélité transcendante (284). C'est dans ce cadre qu'il convient de
situer une originale innovation phalanstérienne : l'angélicat. Il désigne une
coutume qui sélectionnerait dans chaque pays une foule de beaux couples
voués à accorder leurs faveurs passagèrement à une masse d'amants et
d'amantes par des voies honorables, entraînant des liens d'affection durable
et d'enthousiasme général. Il s'agit d'une sorte de variante méthodique et
institutionnelle de ce que
Pierre Klossowski décrit sous un mode discret,
celui de la transgression, avec les « lois de l'hospitalité
(285) », sorte de théâtre
érotique de la phanérogamie clandestine. Le couple angélique est l'expression
la plus haute du pur amour et il incarne une nouvelle prêtrise, symbolisant
l'alternisme du régime affectif en Harmonie ; il est par conséquent l'objet d'une vénération religieuse. L'adhésion à ce que l'objet aimé soit possédé
matériellement par autrui est une licence qui donne en Harmonie les
couples angéliques, de même que les vestals et les vestales qui « souscrivent
tous à ce que leurs poursuivants d'un et d'autre sexe forment de saintes
unions matérielles avec les membres du sacerdoce
(286) ». Nous entrons ici dans
l'univers de la
theologia theatrica et sa passion ludique ou « débauche expérimentale
» pour reprendre la formule de Klossowski. Le corps cesse d'être
la propriété du moi pour devenir le lieu de passage des rencontres et des
impulsions : il implique la relation essentielle et les relations occasionnelles,
la première atteint son niveau le plus intense de pureté (l'incommunicable,
l'inéchangeable) alors même que les secondes sont librement offertes à tous.
Le secret de l'angélicat tient dans le mystère de la révélation spirituelle et
sentimentale qui est aussi la révélation du mystère physique et sexuel, de
sorte que la séparation des deux natures est transfigurée, métamorphosée
dans une unité supérieure et sublime – au sens kantien de l'esthétique : celui
d'une immédiateté virtuellement accessible à tous et de la singularité que
personne ne peut assimiler ou posséder dans sa plénitude. « Pendant cette
épreuve, manquera-t-il quelque chose à leur bonheur ? Ils auront une foule
de jouissances matérielles et spirituelles. Chacun d'eux, en se livrant successivement
aux favoris et favorites qu'il aura choisis (sera respecté) dans
ses fonctions comme (une image) de la divinité et en (aura) le relief dans
les cours d'amour
(287) », poursuit Fourier. Les couples angéliques seront
entourés d'un saint respect, car leurs faveurs seront un baume de sainteté et
un gage de concorde amoureuse, d'unité religieuse et d'absorption des
jalousies. Un exemple de l'oeuvre pie de l'angélicat est présenté ainsi : « (…)
s'il se trouve dans la contrée quelqu'individu accidentellement disgracié de
la nature (…), l'ange et l'angesse leur feront religieusement l'offre de
faveur et en recueilleront d'autant mieux les bénédictions publiques assurées
à leur fonction
(288) ». Ce qui invite l'auteur à établir une violente comparaison
avec le comportement et la situation de deux amants civilisés : « sublimes
que pour eux-mêmes, risibles et insipides pour autrui, francs et égoïstes aux
yeux de tout le monde (…), comparables en cela aux gourmands ignobles qui
vantent leur bonne chère à des misérables privés du nécessaire
(289) ». Célèbres en beauté et en vertu, la flamme transcendante qui unira ces conjoints au
point de les porter à se complaire dans les plaisirs de l'objet aimé et partagé
par d'autres, soutiendra leur enthousiasme et les « fonctions si bizarres à nos
yeux » de ce service amoureux. « Chacun d'eux sera ministre des plaisirs
sensuels de l'autre, introducteur bénévole des élus ou élues et négociateur
pour leur admission consécutive », conclut Fourier
(290). Cette pornologique
supérieure est l'antithèse du despotisme de la société sadienne des amis du
crime, elle s'inscrit au coeur de la vérité profonde de la dialectique de
l'échange dont Hegel écrira qu'il réside aussi dans le « tumulte
bachique »
(
der bacchantische Taumel), dans le glissement du divin qui expulse la dissociation,
ce qui sépare (le diable), à la lumière du soleil de Midi.
Le nouveau
monde amoureux inaugure une religion sociale, dont la nécessité
sera défendue sous la forme de culte moins audacieux par les principaux
observateurs de la société au XIXe siècle (Saint-Simon et Comte, et même
un athée comme Alexis de Tocqueville qui voit dans le religieux un puissant
rempart de la société civile face à l'élargissement des pouvoirs de l'État
moderne). On n'est donc point étonné de rencontrer en Harmonie une
sainteté amoureuse, honorifique et lucrative, car les saints et les saintes
seront canonisés désormais de leur vivant. Le critère de sainteté et d'héroïsme
harmonien est de part en part social (comme celui suggéré par
Auguste Comte dans le
Catéchisme positiviste et son calendrier du
Système
général de commémoration publique (291)) ; bien entendu il repose sur une estimation
de qualités, virtuelles chez tous les phalanstériens et conformes au
développement sociétaire. Ainsi, le grade de sainteté n'est plus attaché à des
conduites ou à des pratiques, à des prières et austérités, inutiles au genre
humain, qui ne font le bien de personne, pas même de celui qui s'y astreint.
L'harmonie spécule sur toutes les illusions pour en tirer partie, mais en la
matière, « elle n'admet que les saints utiles et concourant au deux buts du système
social : l'accroissement des richesses et des vertus
(292) ». Ce dernier terme
désigne, chez l'auteur, les coutumes et les dispositions propres à étendre les liens cardinaux : l'amitié, le sectisme, l'amour et le famillisme. Les saints
et héros seront les êtres « qui auront efficacement contribué au bonheur des
humains dans cette vie et comme la bonne chère et l'amour sont les plaisirs
les plus généralement ce seront ceux dont le perfectionnement élèvera à la
sainteté ceux qui auront puissamment concouru
(293) ». Ainsi distingue-t-on en
sainteté majeure, la sagesse gastronomique et en sainteté mineure la vertu
amoureuse, de même qu'il existe un héroïsme majeur concernant les
sciences et un héroïsme mineur sur les arts. La sainteté amoureuse doit inviter
les individus à se dévouer aux plaisirs sexuels de l'humanité, avec la fervente
abnégation et un zèle comparable à celui des mystiques des religions
traditionnelles. Elle est récompensée par un sceptre de pontificat pour les
personnes âgées et par celui de favoritisme pour les jeunes, on y parvient
par la réussite de sept épreuves. Je ne cite que la première intitulée « l'initiative
» qui montre la difficulté attendant le candidat : « Un jeune homme
qui veut entrer dans la carrière de sainteté doit d'abord à titre de Patente le
tribut amoureux à toutes les dames Révérendes, Vénérables et Patriarches
qui ne l'exigent pas toutes. Il en est de même d'une jeune fille
(294)…» Quant
à la deuxième épreuve, elle se caractérise par une adjonction à l'autre sexe
dans ces plaisirs ; par exemple, un homme devra s'adjoindre consécutivement
à seize couples féminins d'amour saphique, une femme à seize couples
masculins d'amour spartiate
(295). L'invention de la sainteté amoureuse permet
de constater que Fourier considère que le saphisme et la pédérastie ne sont
pas des pratiques sexuelles anomiques ou des déviations pathologiques de
la libido, comme le prétendent à l'époque, et même plus tardivement, les
explorateurs de la vie sexuelle (y compris les moins conformistes, tel
Wilhem Reich par exemple). Le théoricien sociétaire envisage d'ailleurs que
dans les dernières périodes d'Harmonie, les femmes et les hommes seront
ambisexuels
(296). On notera à ce propos que Fourier examine avec soins les manies (ou diminutifs des passions) amoureuses, appréhendées comme des
effets du besoin qu'a l'esprit humain de se créer des stimulants variés. Loin
de les contrarier comme en Civilisation, il propose de les encourager et de
les associer par groupes, afin de les intégrer sans violence dans l'équilibre
général des destinées sociales. Elles seront si peu dissimulées que l'on pourra
les reconnaître dans la rue au moyen de panache ou d'épaulettes. Les
manies rares ou extra-manies qui n'atteignent pas la proportion de 1 sur 810
seront l'objet d'un signalement usité, et particulièrement protégées.
126. Charles Fourier,
Le nouveau monde industriel et sociétaire,
op. cit., p. 265.
127. Charles Fourier,
Théorie de l'unité universelle, vol. IV, in
Œuvres, t. V,
op. cit., p. 462.
128. Charles Fourier,
Le nouveau
monde amoureux,
op. cit., p. 38.
129.
Idem, p. 31.
130. Charles Fourier,
Théorie des quatre mouvements, in
Œuvres, t. I,
op. cit., p. 130.
131. Charles Fourier.
Idem, trad. E. Bottigelli, Paris, éd. Sociales, 1973, p. 132. Engels écrit que magistrale
est la critique fouriériste des relations sexuelles et de la position de la femme dans la société bourgeoise :
« il est le premier à énoncer que, dans une société donnée, le degré d'émancipation de la femme est la mesure
naturelle de l'émancipation générale »,
Anti-Dühring,
op. cit., p. 297.
132. Charles Fourier,
Théorie des quatre mouvements, in
Œuvres, t. I,
op. cit., p. 133.
133. Charles Fourier, « Égarement de la raison » (Cahier Eleuthère, 27e pièce, cote supplémentaire), in
Œuvres,
t. XII,
op. cit., p. 633.
134. Charles Fourier,
Théorie des quatre mouvements, in
Œuvres, t. I,
op. cit., p. 148 sq.
135.
Idem, p. 149.
136.
Id., p. 151.
137. Charles Fourier,
Théorie de l'unité universelle, vol. III, in
Œuvres, t. IV,
op. cit., p. 113. Voir Irène
Pennacchioni, De la guerre conjugale,
op. cit.
138. Charles Fourier,
Théorie de l'unité universelle, vol. III, in
Œuvres, t. IV,
op. cit., p. 112-113.
139. Charles Fourier, « Égarement de la raison », in
Œuvres, t. XII,
op. cit., p. 637.
140. Charles Fourier,
Théorie des quatre mouvements, in
Œuvres, t. I,
op. cit., p. 140.
141.
Idem, p. 144.
142.
Id., p. 117-126. Je rappelle que la carrière sociale de l'existence du genre humain est, « à un huitième
près », par Fourier, à quatre-vingt mille ans et se divise en trente-deux périodes et quatre phases comme suit :
Phases
Vibration ascendante
Première phase
L'enfance ou incohérence ascendante 1/16 5.000 ans
Deuxième phase
L'accroissement ou combinaison ascendante 7/16 35.000 ans
Vibration descendante
Troisième phase
Le déclin ou combinaison descendante 7/16 35.000 ans
Quatrième phase
La caducité ou incohérence descendante 1/16 5.000 ans
Les deux phases de combinaison ou unité sociale comprennent les âges du bonheur, dont la durée est sept
fois supérieure à celle des deux phases d'incohérence ou discorde sociale, gouvernées par les temps malheureux.
Les deux courtes phases d'incohérence contiennent chacune sept périodes sociales, soit 14 périodes
d'incohérence, des deux phases de combinaison, plus longues, comportent chacune neuf périodes sociales,
dont 18 périodes combinées. Au total, on obtient ainsi 32 périodes ou sociétés.
Théorie des quatre mouvements.
Id.,
op. cit. p. 34 et 35.
143.
Idem, p. 125.
144.
Id., p. 120.
145.
Id., p. 124.
146. Charles Fourier,
La fausse industrie (1835), in
Œuvres, t. VIII,
op. cit., p. 316. Le vin est par excellence
une boisson analogique qui doit son universalité à sa force cosmique. « Le vin blanc est l'or portable. Le vin
rouge est un sang » écrit Gaston Bachelard dans
La Terre et les rêveries du repos, Paris, José Corti, 1948,
p. 329. Sa dénaturation est indice d'une grave contre-transmutation, la perte du singulier et de l'universel,
dont la fausse alchimie civilisée est responsable et qui témoigne de son incohérence face aux autres mouvements
de l'univers, (Aromal, Instinctuel, Organique et Matériel).
147. Charles Fourier,
Théorie des quatre mouvements,
op. cit., p. 119. La notion de tribalisme a été réactualisée
en sociologie par Michel Maffesoli avec
Le temps des tribus,
op. cit. Signalons un précurseur contemporain
méconnu (et inattendu) de cette problématique, le théoricien marxiste et ancien responsable de la IVe
Internationale (trotskyste), Michel Raptis dit Pablo, « Solidarité tribale et Autogestion »,
Autogestion, Cahier
n° 2, Paris, éd. Anthropos, avril 1967.
148. Charles Fourier,
Théorie des quatre mouvements, in
Œuvres, t. I.
op. cit., p. 123. Sur la prise en compte
de ce phénomène par la sociologie française contemporaine, je renvoie aux travaux de Marcel Drulhe et
Serge Clément, « De l'offre rationalisée à une demande polymorphe », in
Vieillir dans la ville, Collectif,
Paris, L'Harmattan, 1992, p. 127-150.
149. Charles Fourier,
Théorie de l'unité universelle, vol. III, in
Œuvres, t. IV, p. 60.
150. Charles Fourier,
Le nouveau monde amoureux,
op. cit., p. 284.
151. Charles Fourier, « Généralité sur l'équilibre en Composé » (1818), in
Œuvres, t. XI,
op. cit., p. 345.
152. Charles Fourier,
Le nouveau monde industriel et sociétaire,
op. cit., p. 264 sq.
153.
Ibidem.
154. Paul Lafargue,
Le droit à la paresse, Paris, éd. F. Maspéro, 1972.
155. Charles Fourier, « Généralités sur l'équilibre en composé », in
Œuvres, t. XI,
op. cit., p. 342 sq. Voir
au sujet de l'enfant illégitime, la pertinence et documentée étude de Françoise P. Lévy,
L'amour nomade.
La mère et l'enfant hors mariage. XVI-XXe siècle, Paris, Le Seuil, 1981.
156. Charles Fourier,
La fausse industrie, in
Œuvres, t. VIII,
op. cit., p. 188 sq. N'y a-t-il pas ici une corrélation
à établir entre la radicalité de l'opinion de Fourier et l'engouement d'André Breton et des surréalistes pour Violette
Nozières. Cf. Violette Nozières.
Poèmes, dessins, correspondances, documents, Paris, éd. Terrain Vague, 1991.
157. Charles Fourier,
Le nouveau monde industriel et sociétaire,
op. cit., p. 266.
275. On voit bien sur ce point précis ce qui distingue la position de Fourier de celle des anti-psychiatres,
comme David Cooper,
Mort de la famille, trad. F. Drosso-Bellivier, Paris, Seuil, coll. « Points », 1975.
276. Charles Fourier,
Le nouveau
monde amoureux, op. cit., p. 41.
277.
Idem, p. 229.
278.
Id., p. 275.
279.
Id., p. 229.
280.
Id., p. 93. Le conseil d'État des Pays-Bas a octroyé à un invalide néerlandais une allocation pour lui
payer une call-girl, reconnaissant implicitement un droit déjà impliqué dans sept municipalités. La petite ville
de Mook en Hollande possède depuis plusieurs années un établissement de « réconfort sexuel » adapté aux
handicapés (sans escalier, ni porte étroite). Cf.
Libération, du 19 et 20 septembre 1992, p. 22. (article de Sylvain
Ephimenco). C'est l'occasion de constater que les idées de Fourier sont très raisonnables et se fraient tranquillement
un chemin. Quant à la polygamie, on signalera qu'en 1674, Johannes Lyser s'en était fait l'avocat
dans un système plus extravagant. Cf. Johannes Lyser,
La polygamie triomphante.
281. Charles Fourier,
Le nouveau
monde amoureux, op. cit., p. 292.
282.
Idem, p. 294. Sur la rencontre et le dépassement de la séparation comme aliénation ordinaire amoureuse,
je renvoie au roman de Jan-August Schade,
Des êtres se rencontrent et une douce musique s'élève dans leurs
coeurs, trad. Ch. Petersen-Merillac, Paris, Champ libre, 1978. Signalé et apprécié des situationnistes (Ivan
Chtcheglov, Guy Debord), la trame de l'intrigue et la dérive sentimentale des personnages est indiscutablement fouriériste. Arthur Schopenhauer insiste aussi sur la rareté de l'amour passionné : « L'amour véritablement
passionné est aussi rare que le hasard de leur rencontre », « Métaphysique de l'amour » in
Métaphysique de
l'amour, trad. M. Simon, Paris, U.G.E., coll. « 10/18 », 1864, p. 48. ; également Michel Field et Julie Cléau,
Le livre des rencontres, Paris, R. Laffont, 2002.
283. Charles Fourier,
Le nouveau
monde amoureux, op. cit., p. 291.
284.
Ibidem.
285. Cf.
Pierre Klossowski,
Les lois de l'hospitalité, Paris, Gallimard, 1965. Dans « Roberte, ce soir »,
Klossowski résume dans un dialogue entre Antoine et Octave la théorie du corps opportun qui commande,
selon lui, l'administration des ressources rares ou l'économie des besoins pulsionnels. « Octave : Et d'abord
qu'est-ce que l'incommunicabilité ? Antoine : C'est le principe selon lequel l'être d'un individu se saurait
s'attribuer à plusieurs individus, et qui constitue proprement la personne identique à elle-même. Octave :
Quelle est donc la fonction privative de la personne ? Antoine : Celle de rendre notre substance inapte à être
assumée par une nature soit inférieure, soit supérieure à la nôtre. […] Octave : Or, peut-on imaginer que dans
la personne actuelle une opération intervienne qui, dissociant l'âme du corps et l'esprit de l'âme, suspende
la personne actuelle ? […] Antoine : Si notre personne nous rend inapte à être associé à une nature soit inférieure,
soit supérieure à la nôtre, il reste que cette suspension même de la personne peut se produire si Dieu
le permet. »
idem, p. 127 sq. ; également, Pierre Klossowski et Pierre Zucca, « Roberte au cinéma », Nyons,
Obliques, 1978. L'oeuvre de Klossowski qui explore la question de l'échange, sous l'angle théologique,
moral, sociologique et économique, à partir de l'hypothèse de l'expropriation du corps est encore sousestimé
dans les sciences humaines. Une excellente présentation a été rédigée par Alain Arnaud,
Pierre
Klossowski, Paris, Seuil, 1990, et de remarquables études lui ont été consacré (M. Blanchot, M. Foucault,
G. Deleuze), voir Daniel Wilhem, Pierre Klossowski : le corps impie, Paris, U.G.E., coll. « 10/18 » (1323),
1979. Également Pierre Klossowski,
La morale vivante, Paris. E. Losfeld, 1970.
286. Charles Fourier,
Le nouveau
monde amoureux, op. cit., p. 69.
287.
Idem, p. 79.
288.
Id., p. 80.
289.
Id., p. 79.
290.
Ibidem.
291. Cf. Auguste Comte,
Catéchisme positiviste, notamment la première partie (« Explication du dogme »,
p. 75-147), et le
Calendrier positiviste, Paris, Garnier, coll. « Flammarion » (100), 1964, (rééd. Fata Morgana),
p. 265-271.
292. Charles Fourier,
Le nouveau
monde amoureux, op. cit., p. 119. L'éloge des richesses restera un trait
constant de la propagande fouriériste, « Hors du luxe, hors de la richesse générale, point de salut ! » déclare
A. Toussenel,
L'esprit des bêtes. Zoologie passionnelle, Paris, 1884, p. 85.
293. Charles Fourier, op. cit., p. 119. Il manque un mot dans le manuscrit de Charles Fourier.
294.
Idem, p. 121.
295.
Id., p. 122. Georges Bataille écrira, dans
L'érotisme, que la sainteté est une expérience voisine de
l'érotisme, de nature différente, mais d'une intensité extrême, déterminant la présence en nous du sacré.
Néanmoins, il affirme que la première est condamnée à la solitude et non au partage, comme tente de l'y élever
Fourier. Cf. Georges Bataille,
L'érotisme, Paris, U.G.E., coll. « 10/18 » (221), 1965, part. II, Étude Vie,
« La Sainteté, l'érotisme et la solitude », p. 275-289.
296. Sur l'homosexualité reconsidérée depuis le point de vue militant. Cf. F.H.A.R,
Rapport contre la normalité,
Paris, éd. Champ libre, 1971 ; Guy Hocquenghem,
Le désir homosexuel, Paris, Delarge, 1972 ;
La dérive
homosexuelle, Paris, Delarge, 1972, « Entre hommes, entre femmes »,
Sociétés, n° 17, Paris, Masson, mars
1988, qui contient de nombreuses indications bibliographiques.