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Édito
2 juin 2015. Des CRS démantèlent les tentes dressées sous le métro aérien de La Chapelle, dans le 18e arrondissement de Paris. Environ 350 hommes et femmes - fuyant pour la plupart des pays en guerre - tentaient d'y survivre dans l'indifférence. Raisons classiques invoquées : insalubrité et problèmes sanitaires. Réponse politique prévisible : placement provisoire en centres d'accueil. Pour une petite minorité seulement. Associations et population civile tentent de s'interposer. Coups, échec, résignation.
Le photographe Grégoire Korganow, présent ce jour-là, conclut ainsi le message qu'il nous envoie : “ Il ne reste plus qu'à hurler sa colère. ” Un constat d'impuissance que l'on retrouve dans tous les témoignages évoquant l'absurde feuilleton qui s'en suit, emportant les migrants de cars de CRS en centres d'hébergement, et de centres d'hébergement en cars de CRS. Hurler sa colère, est-ce assez ? Les mots écrits ici semblent presque vains.
Face à ces catastrophes humanitaires, où l'artiste peut-il intervenir ? Notre collaborateur Gérard Mayen avait récemment ces mots : “Ce qui définit l'art contemporain, c'est sa faculté à questionner les regards et à interroger les codes des représentations dominantes.” Peut-être seulement cela. Porter avec humilité un art qui n'ignore pas ses limites, conscient que, sans doute, il ne changera pas le monde. Non pas “ changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde ” mais “ changer sa représentation si ce n'est l'ordre du monde ”, pourrait-on écrire, en dévoyant la formule aux relents stoïciens (défaitistes ?) de Descartes.
Au milieu des évènements, expositions et festivals qui saisissent la thématique des migrations - autrement qu'en filant la désormais célèbre métaphore de la fuite d'eau - il est une initiative, insignifiante de taille mais grande de sens, essentielle à mettre (encore) en avant : 81 avenue Victor Hugo du Moukden théâtre, créé à la Commune d'Aubervilliers (1). Sur scène, huit membres du collectif de sans-papiers les 80 d'Aubervilliers prennent la parole pour raconter l'absurdité de leur condition de travailleur immigré et leurs pérégrinations jusqu'à l'occupation des locaux vacants d'un Pôle emploi. Dans cette incarnation aux codes de représentation différents, le migrant, cessant d'être une victime devient acteur, taclant au passage la condescendance de l'humanisme bien-pensant. Peut-être seulement cela.
Ce numéro de Mouvement est habité d'artistes qui tentent, à leur échelle, de résister en bouleversant les regards. Des chikhates qui accompagnent Bouchra Ouizguen, dansant et chantant leur liberté dans un Maroc qui voudrait parfois les enfermer dans un préjugé de femmes aux mœurs faciles, à Kamel Daoud qui dépasse par la fiction les traumatismes du passé franco-algérien ou encore à Michel Houellebecq qui livre sa version en demi-teinte d'une France en voie de muséification. Et de conclure avec Tiago Rodrigues, metteur en scène fraîchement nommé à la tête du Théâtre national de Lisbonne et programmé à Avignon pour la première fois : “ Maintenant, si cette résistance artistique ne se traduit pas en résistance générale, elle est inutile. ” Restons humbles.
Aïnhoa Jean-Calmettes & Jean-Roch de Logivière