les presses du réel

Temps Mort

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« Temps mort », l'un des titres du rappeur Booba, désigne un fameux film signé Mohamed Bourouissa, produit du temps où il était étudiant au Fresnoy, en 2009. On n'en connaît peu la genèse, une série de photographies produites une année plus tôt. Celles-ci constituent pourtant un jalon majeur dans le parcours de l'artiste, qui n'est alors connu que pour « Périphéries », série de photographies couleurs s'inspirant de la peinture classique, mises en scène dans le but de déconstruire le discours médiatique sur la banlieue et qui, sitôt produites en grand format, rencontrent le succès du public et des collectionneurs.
Le 31 juillet 2008, je rencontre Mohamed Bourouissa et note ce qu'il me confie dans un cahier qui lui est dédié : « Je ne t'ai pas dit, j'ai commencé un nouveau travail. Je fais des photos en prison. En fait, j'ai un pote détenu. Il fait des images pour moi. Ce qu'on y voit n'est d'ordinaire pas palpable, comme si l'œil glissait dessus sans s'arrêter »…
Les vingt et une images de « Temps mort » nécessiteront huit mois d'échanges – 300 SMS et MMS – ponctués de longs silences, entre l'artiste, qui s'est lancé dans ce projet sans savoir s'il va aboutir et Al, incarcéré dans un centre pénitentiaire de la région parisienne. Le protocole est simple : Al prend des images basiques, presque topographiques, de son environnement, de lui même, de ses activités, de ses voisins, de la cour de promenade, de la vue depuis les grilles de la cellule du lever du soleil jusqu'à la nuit, transmises ensuite à l'artiste. Ce dernier interprète, via des dessins de mises en scène à réaliser à l'intérieur, ce que voit Al. Il les retravaille, les recompose, notamment en les reshootant en argentique. Ajoutons que le deal entre les deux hommes prévoit que l'artiste fournisse régulièrement le preneur de vues en recharges téléphoniques qui permettront de maintenir le lien et de le dédommager (...).
On pourrait se dire : encore un travail sur la prison, sa claustrophobie, sa vétusté, sa promiscuité, ses traitements dégradants ! Sauf que le propos, ici, n'est pas un témoignage de plus venu après les émeutes de banlieue, le durcissement du système, la mise en place des mécanismes politiques, les mises sous écrou de plus en plus nombreuses... Par contre, l'explosion des images de prison via des téléphones portables est telle, dans ce contexte, que Mohamed Bourouissa est amené à redéfinir sa position (...) : « loin d'être un témoignage de plus » explique-t-il « je m'appuie sur le réel pour reconstruire d'autres réalités au sein de mes œuvres. Elles comportent certes quelque chose de l'ordre du témoignage, mais cela n'empêche pas une grande part de subjectivité » (...).
Le centre du projet n'est donc pas la cellule, mais un corps oppressé, qui donne à sentir une architecture exerçant sur lui une pression de tous les instants. Ce corps prisonnier d'un espace clos, confiné, qui reste le capital le plus précieux de l'individu incarcéré, continue, dans un espace, qui est une fabrication mentale, d'assurer les taches répétitives d'un humain réduit à un certain état limite, organisant le minimum de ce qu'il convient de faire pour continuer de s'appartenir : manger, déféquer, dormir, faire des pompes. Ce qui est important, ce n'est pas le contenu, mais le horschamp de ces images basse définition, austères, aphasiques, peu informatives, qui, loin des pièges tendus par le spectacle, loin des images fournies par l'institution, vont droit à l'essentiel et sont paradoxalement plus significatives, comme si leur pauvreté devenait une qualité, comme si le flou rendait lisible la captivité, comme si à la fois dures et douces, elles tendaient à l'abstraction. La question, c'est la place, le point de vue qu'adopte l'artiste, au moment où un corps lui renvoie une expérience personnelle qu'il va devoir recomposer. Un travail expérimental s'engage.
Magali Jauffret
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