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les presses du réel

Correspondance1918-1959

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Présentation
(extrait, p. 7-9)


Marcel Duchamp et Henri-Pierre Roché ont correspondu pendant presque toute la durée de leur amitié – on serait tenté d'écrire de leur liaison. Laquelle débute en décembre 1916 et ne se termine qu'à la mort de Roché (avril 1959). Cette correspondance n'existe – sauf quelques courts billets – que dans les périodes de séparation, essentiellement lorsque Duchamp vit à New York, Roché à Paris (ou à Sèvres), ou lorsque, tous deux étant en France, les circonstances de la guerre les éloignent de Paris, dans des lieux différents (1940-1942). Il est logique que ce soit après l'établissement aux États-Unis de Duchamp (1942) que cette correspondance ait été réellement suivie et nourrie.

Au total : cent cinquante-neuf lettres de Duchamp à Roché (dont trois cartes postales et quatre télégrammes) et trente-trois de Roché à Duchamp (dont trois brouillons de lettres) plus quelques lettres de correspondants explicitant une transaction ou une publication et quelques documents (reçus, factures, brouillons d'articles, dix-huit au total). Cette édition comprend ainsi deux cent dix numéros.

Les lettres de Duchamp à Roché – y compris certains billets lorsqu'ils vivent tous deux à Paris, principalement entre 1923 et 1940 – sont scrupuleusement, méthodiquement archivées par Roché qui, d'une façon générale, conserve toute sa correspondance. Celle-ci a été rachetée à la succession Roché par le collectionneur Carlton Lake et déposée à l'Université du Texas à Austin, au Harry Ransom Humanities Research Center (H.R.H.R.C.), où elle peut être consultée. Elle constitue une mine d'informations sur la vie de l'art et des artistes de cette période (Roché est actif de 1901 à 1959). Il a gardé les lettres d'environ deux cents correspondants. Elles sont non seulement classées (lettres, documents, notes et factures, enveloppes comprises), mais aussi minutieusement annotées, souvent à la suite de plusieurs lectures, parfois au moyen de plusieurs encres, Roché se préparant à des réponses précises, attentives, réagissant à toutes les questions posées (pratiquement toutes les lettres notent sa date de réponse, dans un délai presque toujours très court), et se délectant sans doute de multiples relectures. Certaines lettres sont soulignées ou marquées de traits et de croix à chaque paragraphe, voire à chaque mot. Nous n'avons gardé que les traits de soulignement et les annotations réellement utiles.

Quelques passages sont écrits en anglais. Nous n'avons proposé une traduction que lorsque cela a paru nécessaire. L'orthographe et la ponctuation ne sont pas toujours correctes mais nous avons respecté la graphie originale. De la même façon, nous avons conservé l'orthographe, parfois fantaisiste, des noms propres, rétablissant en note les noms exacts. Ces lettres de Duchamp sont souvent écrites très rapidement, en style parfois télégraphique. Il utilise lui-même cet adjectif dans quelques lettres (nº 94, du 1er juin 1952 et sqq.) en imprimant un tampon facétieux évoquant son « style télégraphique pour correspondance en retard ». Il s'excuse souvent de ses silences et négligences. L'utilisation du courrier air mail (qui est très efficace, les annotations de Roché montrant que les lettres mettent seulement un jour ou deux à lui parvenir) conduit à utiliser un papier fin « par avion », recto verso, à écrire dans les marges, etc., et réduit sûrement la longueur et la forme des échanges. Duchamp est précis, laconique, un peu distant, ironique, drôle, modeste, sans prétention littéraire, élégant pour tout ce qui le concerne. Les formules de politesse sont véritablement affectueuses à l'égard de Roché, d'abord appelé « cher vieux », puis – ironiquement, en réponse à l'appellation de Roché – « Totor ». « Cher Totor » écrit donc à « Totor ». La formule finale est presque toujours, mais en abrégé : « Affectueusement ». L'attention à la famille, à la santé de Roché est constante. La complicité, manifeste, se traduit aussi à travers de nombreuses questions financières qui portent sur des ventes d'œuvres appartenant à Roché (des Brancusi surtout), mais aussi, après la guerre, sur des achats d'œuvres de jeunesse de Duchamp par Roché redécouvertes à Puteaux. Roché en possédera un grand nombre, qui élargit une « petite collection » commencée avec les Neuf Moules Mâlic, la Rotative demi-sphère, les Rotoreliefs… Un échange final, émouvant, a lieu en 1956 avec le retour à son auteur du « Petit Verre » (les Neuf Moules Mâlic) offert à Roché en 1918, lequel aura vécu ainsi près de quarante ans avec cette œuvre vénérée, dont il aura été le premier à reconnaître l'importance en France, et sans doute dans le monde.

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