En transit
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Ma première impression du Fresnoy a été celle d'un
territoire
offshore, une plate-forme expérimentale située
aux confins de la France et de la Belgique, entre friche
industrielle, canal et bretelle d'autoroute. Faire une
exposition au Fresnoy, ce n'est pas faire une exposition
n'importe où. C'est nécessairement tenir compte de
cette position géographique et historique singulière, un
espace disponible et ouvert, traversé par les courants
et les flux du monde d'aujourd'hui : flux de populations,
flux économiques, flux d'images.
Il s'agissait de trouver une forme pour cette exposition qui
rende hommage à cette singularité. Ouvrir l'espace de
la « Grande Nef » à la lumière aura été le premier geste
envisagé, avec la complicité de Jacky Lautem. Faire de
ce lieu non pas un écrin confiné, mais un espace ouvert
qui ne ressemble pas à un lieu explicite d'exposition
(avec ses cimaises, son système d'éclairage dirigé),
mais plutôt à un espace de transit (proche du chantier
ou du port) avec des structures / containers autonomes
permettant une isolation visuelle et sonore maximale. Un
espace disponible donc, disponible pour les œuvres
que celles-ci nécessitent l'obscurité, que celles-ci
nécessitent la lumière. Une exposition en transit : la
plupart des œuvres ont été conçues et produites hors
du contexte de leur exposition. L'exposition souligne cette
exterritorialité de l'œuvre, déracinée de son contexte de
production, orpheline, vivant une vie autonome, vouée au
nomadisme et à l'impermanence. Georg Simmel évoque
l'« exterritorialité de l'aventure » : « Ce qui caractérise
l'aventure c'est d'abord sa séparation, discontinuité,
avec le reste de la vie. C'est notamment le fait qu'elle
n'est pas rattachée au passé et qu'elle n'a pas de lien
avec l'avenir. En cela c'est une forme close semblable
à une œuvre d'art ».
Faire une exposition au Fresnoy ce n'est pas faire une
exposition avec n'importe qui. Les « promotions » Pina
Bausch et
Michael Snow présentées pour
Panorama 13 ne sont pas des agglomérats abstraits d'individus, ayant
l'école comme seule ligne d'horizon.
Panorama 13 est la mise en perspective de 50 propositions, de 52
singularités (artistes invités et étudiants artistes étant
considérés sur un même pied d'égalité). Rien ne semble
relier ces propositions, hormis le fait précisément
qu'elles ont toutes transité par le Studio national des
arts contemporains du Fresnoy.
Panorama 13 se devait
d'être le lieu d'accueil, collectif et provisoire, de chacune
de ces aventures.
Bernard Marcadé
Encours n'est pas le catalogue de l'exposition ; il en
constitue plutôt le magazine*. Toutes les contributions
présentées ici ne documentent pas des œuvres qui
n'existent que dans le temps et l'espace de leur monstration.
Elles ont été spécifiquement conçues pour
cette publication, avec la complicité éclairée de Yann
Rondeau.
* Ce mot transporte en lui des intensités migrantes, bien en écho
avec le contexte de cette exposition en transit. Il provient de l'anglais
magazine, venant du français magasin, via le latin médiéval magazenum,
l'italien magazzino, le castillan algamacen, eux-mêmes issus de l'arabe
makhâzin (pluriel de makhzin) qui signifie entrepôt.