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Le Paradigme du tapisProlégomènes critiques à une théorie de la planéité

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Préface de l'auteur pour l'édition française
(extrait, p. 7-9)


Il est assez facile maintenant, avec le recul du temps, d'évoquer la genèse du Paradigme du tapis. Les origines de ce texte remontent à l'époque de mes études à l'université Columbia durant laquelle j'étais engagé dans une histoire de l'art formaliste, fortement influencée d'un côté par l'approche analytique binaire proto-structuraliste d'un Wölfflin, de l'autre par l'esthétique critique des premiers formalistes anglais, mais également par l'analytique formelle de ce que l'on appelait alors en littérature la « Nouvelle critique ». Je me vois ensuite vers 1965-1967 jeune étudiant en maîtrise descendant l'avenue d'Amsterdam, ici à New York, dans le bus nº 11, en compagnie d'un ami qui est également devenu historien de l'art. Alors que je lui faisais part de mon point de vue sur la peinture abstraite, il me répondit que si c'était là ce que je pensais vraiment je serais très certainement intéressé par un livre récent de Clement Greenberg intitulé Art et Culture. Encore plongé dans mes études sur l'art pré-moderne, je poursuivais avec la critique d'art à Londres dans les années 1967-1969 et je tombais alors sur un exemplaire de Art and Culture dont j'appréciais modérément le ton très américain réinventant tout, et qui me semblait bien ingrat vis-à-vis des formalistes anglais.
Après avoir achevé en 1973 mon doctorat sur le thème Irish Church-Building from the Treaty of Limerick to the Great Famine (1) – qui de manière bénéfique m'obligea à dépasser ma propre approche essentiellement formaliste en direction de l'histoire sociale pour laquelle cependant je ressentais moins d'intérêt depuis la mort de mon maître 9 Rudolf Wittkower –, j'étais à la recherche d'une espèce de « thèse inaugurale » à traiter pour moi-même, tout particulièrement dans la mesure où grandissait mon intérêt pour le modernisme. Je dois admettre qu'il dut y avoir quelque stimulation négative provenant de l'ouvrage de Tom Wolfe, Le Mot peint (1975), se scandalisant de manière démagogique, et que je lus avec colère lors de sa première publication dans un magazine littéraire – un philistinisme de niveau intellectuel moyen, satisfait de lui, s'appuyant sur la thèse simpliste selon laquelle Clement Greenberg aurait conçu une doctrine moderne formaliste et idiote de la planéité en peinture : après tout, un formalisme saisissant une notion de planéité intégrale dérivée du domaine du design ne pouvait pas être aussi ridicule et méritait d'être défendu.
Il m'est ainsi impossible d'oublier que je fus poussé à écrire cet essai du fait d'une exaspération croissante à l'égard de ce qui ressemblait déjà à une fétichisation de Greenberg comme autorité prophétique unique de la planéité en peinture en tant que doctrine centrale du modernisme, même si par ailleurs le modernisme en tant que tel était l'objet d'attaques. De sorte qu'on pouvait voir que ce qui pour moi était le « bébé » de l'intégrité matérielle-formelle dans le domaine du design – et finalement, bien que je ne pouvais pas à l'époque l'avoir encore formulé de manière aussi désinvolte, de la possibilité pour le matériel d'être le véhicule du spirituel – devait probablement être jeté avec la proverbiale « eau du bain » d'un « formalisme greenbergien » apparemment encore plus superficiel et caricatural. Mon professeur Meyer Schapiro avait déjà publié des études de sémiotique concernant le format en peinture, et bientôt j'en vins à m'intéresser avec des amis du monde de l'art aux formalistes russes. Mais maintenant et même ici, c'était comme s'il n'était pas permis, en raison du contexte critique, de faire référence à la notion de « planéité » alors même qu'elle avait indéniablement suscité des réformes y compris dans le domaine du design lors de la Grande Exposition de 1851.
De temps à autre, certains ont imaginé que ce texte était affilié à Pattern and Decoration. Ce mouvement pictural alors nouveau réagissait avec une exubérance décorative féministe aux critères de goût consensuels de Greenberg, mais surtout contre son acception péjorative du concept de « décoratif », avec ses connotations féminines involontaires concernant tout art textile. Même aujourd'hui, pour la plupart des hommes américains, la question même de l'art est totalement féminine et, ce qui est la même chose à leurs yeux, trop française – autant d'antipathies actives de manière évidente dans le dégoût exprimé par l'école de New York pour l'école de Paris, et dans l'identification sympathique de Greenberg avec le rebelle Pollock en aspirant cow-boy. Fruit d'un travail d'élaboration de plusieurs années, Le Paradigme du tapis n'était en fait affilié à aucun mouvement artistique de l'époque, ce qui ne signifie pas pour autant un déni de toute continuité culturelle et historique avec d'autres réévaluations de la notion de décoratif. Ce qui m'a été plus facile à comprendre au cours des années – sur le mode wittgensteinien du voir plutôt que du dire –, c'est une moindre attirance pour l'argumentation textuelle longue, au sens d'une posture combative et d'une confrontation (la théorie n'était annoncée dans le titre que pour être aussitôt remise à plus tard), et la préférence accordée à une démarche consistant à suivre les bribes de témoignages successifs – sur un mode parfois pas si différent de l'insistance rythmique du décoratif. Cependant, le texte visait également à traiter ces « prolégomènes » comme introduction à quelque chose d'autre – de sorte que, pendant quelque temps, j'avais espéré continuer sur la question de la sublimation du matériau et m'attaquer à la problématique du « spirituel » dans l'art.
Ces récentes interrogations, pour ne pas dire obsessions, justifieront à tout le moins mon tournant par rapport à ce qui fut jadis un immanentisme « libéral » présent dans Le Paradigme du tapis, publication qui, je crois bien, joua un rôle dans ma nomination comme rédacteur en chef de Artforum, moins d'un an après sa publication, suivie après coup par une certaine marginalisation par des millionnaires américains libéraux et « radicaux », en raison, pour ce que je peux en supposer, de convictions socialistes et catholiques très en vogue lors de mon séjour en Angleterre.
(...)


1. La construction de l'Église irlandaise du traité de Limerick à la Grande Famine
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