les presses du réel

Reconnaissance de la rivière

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Invitation
Louis-Jean Dhelvie
(p. 7-9)


Les quatre auteurs de ce livre ont été invités à déployer des approches successivement : Esthétique, Géographique, Poétique, Photographique, d'un même objet : la rivière.
Cet objet a pour eux les aspects d'un lieu situé au Pont des Deux Eaux. Lieu dit ainsi parce que, tout près, en aval, s'y réunissent les eaux de l'Eysse et de l'Escouday, – ces toponymes indiquent que tout cela se situe en France, et pour ce qu'on peut en juger au vu de l'image qui nous en est montrée, dans un arrièrepays reculé, archaïque, qui évoque ce qu'il put en être d'un temps des origines venu là depuis « le lointain historique ».
De ce lieu, on peut donc dire qu'il est l'œuvre commune – à la fois bas-relief et architecture, – des eaux de l'Eysse et de l'Escouday. C'est dans l'ordre de la nature une sorte d'ouvrage d'art.
De ce lieu, de cette gorge encaissée, qui n'est accessible qu'à la saison des basses eaux, il a, d'abord, été fait une image : « un panorama photographique », constitué de sept images appareillées entre elles pour qu'assemblées elles donnent une idée de ce lieu.
C'est à partir de cette image initiale que, à l'aveugle dirontils, deux de ces auteurs ont écrit – ceux qui se sont préoccupés respectivement d'Esthétique et de Poétique.
En choisissant de ne pas se rendre dans ce lieu, ils sont, de fait, restés dans une situation qui n'est, au fond, pas si différente de celle dans laquelle nous nous trouvons, nous spectateurs, lorsque nous parcourons des yeux le panoramique : nous nous en remettons à ce que la fiction photographique nous dit de ce lieu. Comme eux, nous voulons croire que c'est, déjà, un peu voir le monde que de le regarder à travers des images.
Seul, donc, deux de ces auteurs, le photographe et le géographe, se sont rendus dans ce lieu : l'ont vu de leurs yeux : ont pu, à un moment donné, en tournant sur eux-mêmes, réellement parcourir de leurs yeux ce que montre cette paroi. Ils n'en tirent pas autrement avantage. C'est simplement que leur discipline les oblige, expressément, à la fréquentation matérielle des apparences. Et s'ils s'y montrent assidus, c'est avant tout par goût du terrain, et, disent-ils, de l'enchantement particulier qu'il procure.
La question qui fut à l'origine de la réunion de ces quatre disciplines (on imagine que d'autres auraient pu s'y joindre,) était de savoir comment elles pourraient, déjà, chacune rendre compte d'un même objet ; et, secondement, de s'assurer au final, de ce qu'ensemble elles seraient en mesure de dire d'un objet qui, comme la rivière, est une sorte de « personnage du paysage » : entendons par là, une réalité à la fois physique et symbolique, qui excède de toutes parts ce que nos yeux voient – et qu'à l'évidence, ils cernent mal.
S'essayant à dire ce « tout » qu'est la rivière ; ce tout, bien sûr, « qui f ile entre les doigts », ces disciplines ont-elles fait autre chose que l'expérience de leurs propres limites ? Et, par conséquent, de la nécessité dans laquelle elles sont de devoir s'adosser, se relayer l'une l'autre, si elles veulent dire un tant soit peu du monde ? Ce que l'une ignore, sans doute l'autre le sait-elle ? Ce que l'une ne réussit pas à dire, l'autre s'y essaie. Elles se passent ainsi le témoin pour, ensemble pouvoir donner sur la rivière.
Elles sont redevables : reconnaisantes à la rivière, d'avoir pris conscience – peut-être n'en n'avaient-elles jusque-là, eu seulement l'intuition ? – à quel point la rivière est à notre ressemblance. Récit et route. Trace et écriture. Elle nous réfléchit. Elle est dans l'ordre de la nature, notre « stade du miroir ». Elle nous renvoie notre image, elle nous permet de nous reconnaître dans son miroir.
L'image, l'écriture, voudraient en retour prolonger la rivière. Faire en sorte qu'elle ne coule pas seulement là où elle a son lit.


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