Recueil d'écrits et d'entretiens de l'un des acteurs du grand retour de la peinture, avec une trentaine d'essais, de conférences et de conversations autour de son œuvre.
Voilà un ouvrage au sujet réjouissant par la simplicité de son point
de départ et par la complexité virtuellement infinie de ce qu'il rend
possible : on y apprend que peindre c'est repeindre ce qui a une
première fois, sur la moitié d'un même support, été peint. C'est en
effet par ce geste, ce « retard » de l'expressivité, une sorte d'« empêcheur
» – ce qu'il qualifie lui-même de façon générique d'acte de
duplication – que Bernard Piffaretti est apparu sur la scène de l'art
au tout début des années quatre-vingt. Depuis, pour paraphraser
une de ses premières déclarations, la peinture ne s'est en aucune
manière décidée à le lâcher, engendrant des situations d'une grande
variété, paradoxalement dues à une remarquable constance. La
diversité des analyses qu'il a su jusqu'à présent provoquer, et dont
ce livre restitue la quasi-totalité (entretiens avec l'artiste, textes
écrits par lui-même, conférences qu'il a prononcées, exégèses
d'historiens de l'art et de critiques, que celles-ci prennent la forme
de préfaces de catalogues ou d'essais plus développés, au total
près de quarante contributions composant la fortune critique, ici
disponible pour la première fois, de Piffaretti), témoigne à elle seule
de son impact sur les mémoires. C'est que, entre banalité de la
trace et plate virtuosité de sa duplication, entre trivialité du non-sujet
et héroïsme sans phrase de sa reprise, Piffaretti s'est donné les
moyens d'inventer l'acte de peindre et, avec lui, le tableau, ce que
chacune des contributions composant ce volume met singulièrement
en valeur. On aura donc compris qu'il s'agit ici, loin de tous
les discours et de toutes les pratiques engoncés dans la mort de
cet art – lesquels s'apparient fréquemment à l'insistance du regret,
bien souvent le premier masque du ressentiment –, de répéter sans
cesse la peinture, de la reprendre et de la relancer, c'est-à-dire de
la refaire, chaque fois, pour la première fois. Ce que cet ouvrage
montre amplement. Et démontre.
Bernard Piffaretti (né en 1955 Saint-Etienne, vit et travaille à Paris) est un artiste à
protocole. Élaboré partiellement à la fin de la décennie 1970, fixé dès 1986, ce protocole inchangé depuis, est devenu ce que d'aucuns appellent le « Système Piffaretti ».
La division verticale de la toile par un épais trait de couleur en constitue invariablement le premier élément programmatique. Cette césure détermine alors une partie gauche et une partie droite du support. L'image, peinte indifféremment sur l'une ou l'autre des parties, est ensuite prise pour modèle et dupliquée sur l'autre partie. Cette ultime étape achève généralement le tableau.
Après l'exécution d'une première partie, B. Piffaretti réinterprète donc, de mémoire, le déroulement de sa propre partition. Le motif initial tient lieu de « ready-made » pour la duplication. Mais lorsque la stratification de la couleur a emprunté des réseaux trop complexes pour être mémorisés, la duplication est ajournée. La partie laissée blanche au terme de ce renoncement, n'empêche cependant pas la toile d'être exposée. Elle entre alors dans la catégorie des « Inachevés » activée en 1990. Cette décision d'inachèvement ne préexiste pas à la réalisation du tableau, mais démontre que la copie ne va pas de soi, qu'elle est entreprise illusoire qui ne saurait engendrer autre chose que des dissemblances : « La figure de droite est à l'image de celle de gauche. La figure de gauche n'est pas à l'image de celle de droite. » Comme toute règle, le « Système Piffaretti » génère donc ses exceptions. Ainsi les « Sous-produits » ou « Produits dérivés », tableaux dans lesquels le protocole a tourné court, ne laissent visible qu'une césure centrale. Le redoublement n'est alors que celui de la toile blanche.
Les peintures de Piffaretti n'entretiennent pas plus de relation avec le monde visible qu'avec l'abstraction. Les motifs colorés saturés ou non, d'une infinie variété stylistique ont, avec leur air de déjà-vu, un caractère d'extrême banalité, d'autant que c'est sur le protocole que se concentre, en premier lieu, l'essentiel de la lecture. Au terme d'une création déjouée qui réfute toute évolution de style, s'impose au regardeur de l'œuvre une nouvelle habitude de regard.
Les dessins de Piffaretti ont aussi leur place dans ce protocole. Ce ne sont pas des dessins préparatoires, mais des « Dessins après tableaux ». Cette nomenclature, n'est pas sans rappeler celle adoptée par
Sherrie Levine pour titrer les œuvres qu'elle réalise, à la fois « after (après) » Monet, Duchamp,
Malevitch… mais aussi « after (d'après) » les œuvres de ces mêmes artistes qu'elle s'approprie. Ici l'artiste ne s'approprie que son propre travail, le tableau est une fenêtre ouverte non pas sur le monde mais sur la peinture elle-même.
Contemporaine dans les années 1980 du grand retour de la Peinture et notamment de la peinture expressionniste, l'œuvre de B. Piffaretti est une œuvre qui « ne veut rien prouver, rien faire de plus, rien faire de mieux » sauf peut-être, désinvestir le tableau de tout contenu, mettre à distance tout acte pulsionnel par le redoublement, pour bien montrer que « la peinture ne représente jamais qu'elle-même ».
Textes et entretiens de Nathalie Anglès,
Christian Bernard,
Laurent Busine,
Inès Champey,
Yann Chataigné,
Jean-Pierre Criqui,
Éric de Chassey,
Isabelle Ewig,
Robert Fleck,
Jean-Michel Foray,
Jean Fournier,
Joe Fyfe,
Jean-Louis Froment,
Bruno Haas,
Jean-Marc Huitorel,
Emmanuel Latreille,
Guitemie Maldonato,
Werner Meyer,
Yves Michaud,
Catherine Perret,
Arnauld Pierre,
Bernard Piffaretti,
Didier Semin,
Raphaël Rubinstein,
Claire Stoullig,
Jean-Philippe Vienne,
Timo Vuorikoski.
Publié avec le
Mamco.
paru en 2008
édition française
17 x 24 cm (broché)
248 pages
ISBN : 978-2-84066-227-3
EAN : 9782840662273
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