Enquête sur les bijoux Amazighs restitue une série de dessins réalisés dans le cadre d'une visite sur le terrain par le cinéaste, écrivain et dessinateur Ahmed Bouanani. Ici ethnographe et illustrateur, Bouanani analyse la construction des bijoux berbères en esquissant une taxonomie et une géographie du symbolisme formel des groupes berbères au Maroc.
« Les dessins reproduits dans ce livre datent de 1963 ou 1964. Ahmed Bouanani a 25 ans. Il revient de deux années parisiennes au cours desquelles il s'est formé au cinéma. Bientôt il intégrera le CCM (Centre cinématographique marocain) où il effectuera une longue carrière de monteur et d'archiviste. Mais auparavant il rejoint l'Institut National des Arts Traditionnels et du Théâtre (INATT), dirigé par Meriem Aherdan et placé sous l'égide d'un ministère baroque, en charge à la fois de l'information, du tourisme, de l'artisanat et des beaux-arts. Le travail consiste à sillonner le Maroc pour observer, filmer et rédiger des rapports sur les arts traditionnels – coutumes, danses,
artisanat – dans différentes régions du pays. L'INATT est aujourd'hui largement oublié. Est-il permis d'espérer que ses archives, notamment filmiques, survivent quelque part ? Les cartons d'Ahmed Bouanani en conservent quelques traces : des notes de synthèse sur papier à en-tête ; des ébauches d'études sur les tatouages, les contes populaires, les proverbes, les chants et les danses ; et, pour ce qui nous occupe, des carnets de dessins de bijoux traditionnels. »
Omar Berrada
Omar Berrada est écrivain, poète, et commissaire d'exposition. Il vit à New York et enseigne à la Cooper Union, où il co-organise la série de conférences IDS. Il dirige la bibliothèque et résidence d'artistes Dar al-Ma'mûn, à Marrakech. Il est l'auteur, avec
Erik Bullot, d'
Expanded Translation – Un traité de trahison et, avec
Yto Barrada, de l'
Album - Cinémathèque de Tanger. Il est également traducteur de textes de
Jalal Toufic, Stanley Cavell et Joan Retallack. Ses poèmes sont publiés dans
Wave Composition,
Asymptote,
Seedings et
University of California Book of North African Literature. Depuis plusieurs années, il développe un travail critique et d'analyse pour éclairer l'itinéraire et l'œuvre d'Ahmed Bouanani, dont il présente à la Biennale de Marrakech et au Witte de With à Rotterdam deux expositions axées sur le travail et les archives.
Cinéaste – réalisateur, scénariste et monteur –, écrivain et dessinateur, Ahmed Bouanani (1938-2011) est une figure majeure de la vie intellectuelle et artistique
marocaine. Il aura défendu une pratique des arts sans égards aux hiérarchies entre les genres. Ni art majeur ni art mineur, mais le règne sans ambages du savoir-faire des peuples. Dans cette vision englobante du métier d'artiste, toutes les disciplines de Ahmed Bouanani se nourrissent les unes des autres, animées par un projet holiste : réinventer les pratiques collectives et les formes (montage, bande-son, onirisme) et, par tant, faire œuvre de passeur de patrimoine et de mémoire. Monteur sans pareil au cinéma, Bouanani l'est aussi dans sa littérature où il a « élevé l'esthétique du montage à une éthique de la résistance face à la dépossession » (Omar Berrada). Dans sa dramaturgie, cette caractéristique n'est donc pas en reste. Ses œuvres traitent de la responsabilité de l'écrivain face au délitement de la mémoire collective, à une époque qui ne promet qu'amnésie et mort du rêve. L'auteur y peuple ses univers de personnages réels ou imaginaires (écrivain, journaliste, anges et ogres) pour inviter le lecteur, non sans humour, à circuler entre les référents. Pour Bouanani, face à l'amnésie, la question n'est pas de préserver la mémoire, mais de la reconstituer par-delà ses pièges ; de recréer un sens nouveau à partir de fragment épars. On retrouve ses thèmes centraux de sa littérature : la disparition de la réalité, la déréalisation du monde, le rôle de l'écrivain pris entre les impuissances de la mémoire subjective et les porosités de la mémoire collective.