La première monographie de l'artiste d'avant-garde roumaine, centrée sur les « dessins préparatoires » de son œuvre majeure au long cours The Solemn Process (1964-2008), avec laquelle elle a initié un rituel impliquant un travail artisanal communautaire dans les campagnes de Transylvanie, en évolution permanente et à la
conservation infinie.
On n'a pas assez écrit sur The Solemn Process (1964-2008) d'Ana Lupas, une œuvre destinée à durer « indéfiniment » et dont la réalisation a duré plus de quarante ans. Avec Humid Installation (1970), Monument of Cloth (1990) et Christmas trees for the years to come (1993), The Solemn Process constitue le cœur de l'œuvre monumentale de Lupas.
Dans son principe de base, The Solemn Process était une action collective, réalisée par des villageois dans trois fermes des villages de Saliste et Margau en Roumanie, à l'invitation et sous la direction et la supervision de l'artiste. S'inspirant d'anciennes traditions rituelles liées aux fêtes de la moisson, Lupas et ses collaborateurs ont formé des couronnes de blé et d'autres matériaux agricoles à partir de dessins conçus par Lupas et eux-mêmes inspirés de formes traditionnelles.
Au milieu des années 1970, les changements économiques et sociaux en Roumanie ont rendu difficile la continuation du projet par les participants. Ana Lupas a tenté de restaurer les couronnes originales, puis les a redessinées afin d'en conserver la mémoire, pour finalement mettre au point, au début des années 2000, une technique consistant à les sceller en les recouvrant de tôle, solution constituant un moyen pratique de conservation associant une forme d'artisanat traditionnel et un procédé moderne et industriel. C'est sous cette forme que les œuvres sont à présent conservées dans la collection permanente de la Tate Modern à Londres.
Trois séries de dessins ont été conservées. Ils ont été réalisés à l'origine pour guider la construction des structures de soutien du squelette des couronnes, pour représenter les treillis métalliques et les motifs de nouage et d'attache des balles de blé (ces deux séries datent de 1964 à 1976), et enfin pour documenter la désintégration des couronnes lorsque Lupas est retourné sur les sites au début des années 1980 (ces dessins sont datés de 1980 à 1985).
Dans ce volume, nous sommes invités à observer une double démarche : une démarche ascendante – les dessins accompagnant la conception et la réalisation des couronnes – et une démarche descendante, centrée sur leur déterioration.
Ces deux moments pourraient être définis, d'une part comme l'élan soutenu par le projet initial de la réalisation de l'œuvre, et d'autre part comme le désespoir lorsque l'érosion des couronnes révèle l'intrusion d'une réalité brutale.
Projet éditorial spécifique plutôt que simple catalogue, cet ouvrage documente la série à travers une centaine de dessins et trois textes dont une présentation complète du projet par Christian Rattemeyer.
Ana Lupas (née en 1940 à Cluj-Napoca, Roumanie) a étudié à l'Institutul de Arte Plastice Ion Andreescu, à Cluj-Napoca. Elle a commencé à produire des œuvres textiles, des happenings et des installations à partir des années 1960, et son approche conceptuelle et radicalement avant-gardiste a fortement influencé toute une génération d'artistes roumains dans les années 1970 et 80. Ana Lupas est à l'origine du collectif de jeunes artistes roumains « Atelier 35 ». Elle a développé, à distance des projecteurs et du monde des galeries, une multiplicité de pratiques performatives et conceptuelles, certaines éphémères, comme des actions directes se déroulant, principalement, dans des environnements naturels, travaillant en étroite relation avec les territoires, notamment les villages de Transylvanie et de Bucovine.