Le premier disque d'Ophelia, groupe composé de l'artiste
Emilie Pitoiset et de deux membres d'Aluk Todolo.
Le fantôme d'Ophélie, célèbre personnage de l'ombre chez Shakespeare, incarne encore la désillusion de notre monde contemporain. Elle provoque la catharsis et purge les âmes de l'obscénité. Elle canalise ce que le monde vomit sans prétendre être abusé. Elle est le miroir d'une stratégie rhétorique du fantasme qui la réinvente toujours au travers de la figure de la « jeune fille » innocente et pure. Mais que dit-elle, elle ?
Après s'être produit au Centre Pompidou et la Nouvelle Adresse, OPHELIA a réalisé son premier disque enregistré au Confort Moderne, mixé au Studio 04 par Lionel Ferry en janvier 2019.
Au sein d'Aluk Todolo, Shantidas Riedacker et Matthieu Canaguier ont fait de l'occultisme une porte d'entrée sur leurs modélisations soniques, le support esthétique d'une stratégie musicale de l'hypnose, étonnement malléable dans ses formes électrisées et métalliques, mais aussi étrangement perméable à d'autres univers conceptuels parallèles. Ophelia creuse en ce sens le sillon prospectif tout en s'affirmant comme un projet distinct. Porté par les mots déclamés d'Emilie Pitoiset, il entrouvre la porte à de nouveaux spectres, empruntant cette fois les couloirs désolés du Hamlet de William Shakespeare pour rejoindre l'ombre du fantôme d'Ophélie, et redéfinir à travers la lueur cathartique de ce personnage les contours pulsionnels d'un monde humain en proie à ses éternelles désillusions.
Les guitares de Shantidas Riedacker et Matthieu Canaguier y sont les instruments obsessionnels de la confession d'Ophélie. La confession désabusée d'une jeune femme bien de notre temps, mais que les textes d'Emilie Pitoiset renvoie presque insensiblement au mythe désincarné d'Ophélie, et à la figure traquée d'une innocence juvénile en forme de masque.
La piste de la face A s'apparente ainsi à une lente dérive. La voix et les mots d'Emilie Pitoiset nous effleurent tout d'abord de leur questionnement existentiel sibyllin, tandis que les cordes de guitares esquissent progressivement leur canevas tragique. Un minimalisme d'apparat, rêche, envoûtant et encore sous contrôle, qui va subitement se tendre dans des spasmes de drones électriques. La pièce de la face B démarre sur la même note en point d'orgue. La tension personnifiée a désormais mué. Son humanité a disparu derrière des invocations verbales grognées que galvanisent les larsens de guitares qui les sertissent. Là encore, la réduction opère. Tel un organisme se repliant en position foetale, la plage semble se rétracter dans les bas-fonds d'une musique ambient, dense et nébuleuse, que seules surlignent les imprécations gutturales de cette voix mutante dont on devine la lente agonie. Mais est-ce bien la fin, ou bien sont-ce juste les prémices de nouvelles incarnations ?
Laurent Catala (Mouvement - New Noise), 2019.
Edition limitée à 300 exemplaires numérotés et signé par les artistes.