Traduit pour la première fois en français, ce texte culte de la poésie contemporaine mexicaine est le fruit d'une longue errance au nord-ouest du Mexique, à la découverte des rites du peyotl chez les Tarahumara. Écrit en 1978, ce long poème porte la trace des expérimentations du courant infra-réaliste, dont Anaya écrivit le premier manifeste en 1975, un texte inédit publié en annexe de cette édition.
« Les étranges conquistadors (
chavochi) parlent des « tarahumara », ils ne savent pas dire
rarámuri, pieds coureurs, peuple issu d'où Rayena-Soleil est dévoré par la mer tous les soirs / Les chants
Wikaráriame et
Nawajíriame sont pour la joie où parlent esprit et corps / chants et danses dans le
Tutuguri et dans le
Tónari / illuminations, respect avec le
Híkuri / noces, farces, rires avec le
Batari / Assemblées de tribus pour la justice sociale et individuelle / RÉUNIONS DE RE-CONNAISSANCE / »
Híkuri, qui, en langue
rarámuri, signifie peyotl, propose une expérience perceptuelle, une quête hallucinatoire, la recherche d'un langage véritable – ne pouvant émerger qu'au contact de cette poésie corporelle et vivante, qu'
Artaud avait si bien reconnue comme pulsant dans les rites
tarahumara du peyotl. Dans
Híkuri, le mot se fait vision. La langue maternelle se brouille, se peuple de langues étrangères. En premier lieu les mots de la langue
rarámuri, qu'Anaya a peut-être entendu, enfant, dans la bouche de son grand-père, soldat révolutionnaire indigène de l'armée de Villa. Mais pas seulement. Les noms d'Hölderlin, de Rimbaud, de Pound sont convoqués. La voix de l'aimée, de la mère, du père du poète s'entremêlent, jusqu'à se faire indiscernables. Principe de citation où la notion d'auteur se brouille. Collage ou
cut-up. Sans autre cohérence de sens que celle de ce voyage intérieur, à la recherche d'un nom indicible, qui ne saurait s'écrire. D'où la forme la force rhizomatique du poème. À l'éditeur qui lui faisait le reproche, à la fin des années 1970, de n'avoir pas écrit son texte, Anaya avait rétorqué que nul n'aurait pu lui faire de plus belle critique.
José Vicente Anaya (Mexique, 1947-2020) est poète, traducteur (Henry Miller, Allen Ginsberg, Marge Piercy, Gregory Corso,
Antonin Artaud, Carl Sandburg, Jim Morrison…), essayiste et journaliste. Formé à l'Université Nationale Autonome de Mexico, et après avoir pris part au mouvement social et étudiant de 1968, il fut, avec Roberto Bolaño et Mario Santiago Papasquiaro, l'un des fondateurs du mouvement d'avant-garde infra-réaliste.