Première monographie d'Eva Evrard, auteure d'une œuvre minimaliste qui mobilise l'objet-livre, la sculpture et l'installation pour explorer la question des corps. Un projet artistique caractérisé par sa polysémie formelle, fruit de l'influence de l'art conceptuel américain et du renouveau du mouvement Arts & Crafts.
L'œuvre d'Eva Evrard n'est pas facile d'accès. D'emblée, par la prédominance de sa blancheur, par la rigueur de sa forme, par ses architectures dépouillées, elle met à distance celui qui la regarde. Elle intime de faire silence, plutôt que d'exiger. Et si l'on accepte de se dénuder soi-même, si l'on accepte d'être aussi vulnérable et fragile que l'œuvre elle-même, alors elle révèle une profonde complexité, celle du corps – social, politique, amoureux – celle de l'absence de ce corps, de la pensée, de la vie ; celle aussi de la lutte de ce corps pour exister, envers et contre tout, de se dire, de ne pas disparaître.
Sous l'apparence sage et fragile du papier, sous l'écriture fine et les gestes précis, voilà donc ce qui se trame. Un conflit permanent, et pourtant presque invisible par son minimalisme ; une violence inouïe, et cependant presque inaudible, comme toutes ces bouches ouvertes, figées dans les murs, et dont pas un son, pas une parole, ne jaillit. Ce qui se joue, dans chaque œuvre, et par un jeu subtil de correspondances entre elles, c'est l'histoire contemporaine de notre monde, et des corps qui sont pris dans ses rouages ; c'est la menace existentielle d'une possible et totale disparition ; c'est de devenir traces, ossements fossilisés, monuments hermétiques d'une humanité perdue, reproduits à l'échelle.
Pour comprendre cette œuvre, son rapport au livre et sa polysémie formelle, il faut revenir en arrière, dans le creuset du 20e siècle où se dessinent, presque en miroir l'un de l'autre, deux grands courants artistiques, particulièrement dans les années 60 et 70 : d'une part, le développement de l'art conceptuel américain de John Barry à
Lawrence Weiner, et sa fascination pour le mot imprimé, l'espace négatif ; et d'autre part le renouveau du courant Arts & Crafts qui, avec des artistes comme
Louise Bourgeois, recycle des pratiques d'arts considérés à l'époque comme mineurs (tissage, céramique, etc.) pour développer un propos artistique.
Hadelin Feront
Eva Evrard (née en 1984 à Marchin, vit et travaille à Bruxelles) est une artiste belge. Elle est diplômée de l'École Nationale Supérieure des Arts Visuels de La Cambre où elle a étudié la
typographie avant d'explorer la forme-livre, la
sculpture et l'installation. Son travail est une réflexion précise et méticuleuse sur la forme et combine
minimalisme, sculpture et
pensée conceptuelle. En parallèle à ses activités de plasticienne, elle enseigne dans plusieurs Écoles Supérieures des Arts (La Cambre à Bruxelles, Arts2 à Mons et à l'ESA de Liège).