Deuxième enregistrement dans la collection « Mind Travels » pour Laurent Petitgrand et Geins't Naït : mélodies somptueuses et collages industriels hypnotiques se rejoignent pour former une expérience d'écoute immersive et singulière.
Il est souvent dit que l'écoute de la musique, quelle qu'elle soit, est une échappatoire, une perte de repère… En un mot, c'est Oublier. Oublier ce que l'on est, ce que l'on pense et pense savoir, se laisser aller et s'ouvrir à une expérience d'écoute aussi bien physique que mentale. En outre, entrer dans une phase de déconstruction des sens et de l'esprit…
Geins't Naït et Laurent Petitgand, activistes de la musique depuis plus de 30 ans, l'ont bien compris. Et Oublier, leur deuxième disque pour Mind Travels Series, en est certainement le plus beau témoignage à ce jour. Il n'est pourtant pas inutile de préciser que les deux musiciens ont un background très différent.
Alors que Geins't Naït est l'auteur de collages industriels qui ne sont pas sans rappeler les premiers travaux de Einsturzende Neubauten ou Throbbing Gristle, Laurent Petitgand, lui, est surtout connu pour ses nombreuses participations aux films de Wim Wenders dont le dernier en date, The Salt of The Earth, a reçu trois prix au festival de Cannes (sélection « Un Certain Regard »). Deux registres à priori opposés, mais reunis de la plus belle des manières par leur envie d'échapper à toute forme d'académisme.
Et comme on pouvait s'y attendre, Oublier a ceci de particulier qu'il ne correspond à rien de réellement identifiable. Bien sûr, on pourrait simplement se raccrocher aux magnifiques mélodies de Laurent Petitgand (Bodische Little Alone, Past, Brass), qui constituent à elles seules une raison valable d'écouter cet album en boucle. On pourrait aussi se contenter de dire à quel point les dynamiques imaginées par Geins't Naït à grand renfort de boucles hypnotiques et de samples triturés sont obsédantes (Kenie, 26, J'appartiens), voire complétement aliénantes (Discord, Pluie). On pourrait finalement s'attarder des heures sur chaque titre, essayer d'en comprendre la substance. Mais ce serait oublier qu'il appartient à chacun de donner du sens aux choses, de se les approprier. À chacun son écoute, à chacun son expérience.
Car Oublier a pour grande qualité qu'il place les auditeurs au centre de son univers, tant et si bien qu'ils en deviennent eux-mêmes acteurs. Certains y percevront une mélancolie accrue, peut-être même une forme de désespoir. D'autres au contraire, se laisseront séduire par l'évidente beauté du disque et la chaleur qui s'en dégage. Quoi qu'il en soit, sa non-linéarité favorise l'immersion et parfois, dans ses moments les plus intenses, le lâcher-prise le plus total.
Egalement disponible en
CD.
Thierry Merigout et Vincent Hachet, tous deux anciens élèves de l'école d'architecture de Nancy fondent Geins't Naït (GN) en 1986. Six albums seront publiés de 1986 à 1993 sur les labels Permis de Construire et PDCD. La musique de GN, particulière et fascinante, héritière de la scène post-industrielle, a souvent été décrite comme fortement influencée par les
surréalistes et les
situationnistes.
Si Vincent Hachet prend rapidement ses distances avec ce projet musical, Thierry Merigout, qui fut batteur pour Kas Product durant la première tournée du duo mythique en 1981, entend creuser le sillon en s'attachant les collaborations de nombreux musiciens extérieurs, dont Laurent Petitgand qui co-écrit une grande partie des titres de l'album
L'or'n Cät en 1987 et
Fishes en 1989.
Laurent Petitgand, qui avait fondé son propre groupe Dick Tracy dans les années 80, compose sa première musique de film en 1985 pour Wim Wenders,
Tokyo-Ga. Il signe en 2006 la musique du dernier film de Paul Auster,
La Vie intérieure de Martin Frost, publiée chez Naïve. Parallèlement à l'écriture de chansons qu'il interprète, il compose pour la danse et le théâtre notamment pour Angelin Preljocaj
Liqueurs de chair et
Amer America. Il écrit également des textes pour Alain Bashung avec
Les grands voyageurs et des arrangements de cordes pour Christophe
Comme si la terre penchait.
Aujourd'hui et plus que jamais la démarche du duo porte sur un travail de fond. Affûter les sons, leur donner un équilibre, une densité et un impact. Faire en sorte que la musique soit plus que tout un langage, une expérience au sens profond du terme. Dans la forme, la collaboration de Geins't Naït et Laurent Petitgand fait échos aux musiques aventureuses des années 80 et s'inscrit comme le pendant français des
scènes expérimentales anglaises (
Coil, Current 93, Test Dept.) et allemandes (Einstürzende Neubauten, Sprung Aus Den Wolken), si bien que leur œuvre est difficilement étiquetable dans sa globalité, s'engageant aussi bien sur les territoires de l'ambient et de l'industriel que du minimalisme ou encore de la musique répétitive.