Recueil réunissant six cent cinquante-sept « définitions/méthodes », le
protocole pictural au fondement de l'œuvre de Claude Rutault et source d'une nouvelle forme textuelle.
(introduction)
(...) peinture d'une famille et son évolution au fil des générations. le nombre des membres de la famille détermine le nombre de parties de l'œuvre. par famille il faut entendre les différents modèles de structures familiales et leur évolution existant à ce jour dans le monde.
le nombre de toiles de chaque membre de la famille est choisi d'un commun accord par les parents à l'initiative de l'œuvre. une deux trois toiles pour chacun… parents et enfants à égalité. le père et la mère auront une toile de même surface mais la forme pourra être différente. une toile pour chaque enfant, dès la naissance.
il est évident que les enfants devront attendre des années avant de participer à l'œuvre. question d'éducation, de volonté, de patience, de conviction. aux parents d'organiser la mise en place de l'œuvre et son évolution.
les toiles des enfants devront rester en piles, visibles, en attente, jusqu'à ce qu'ils puissent réellement prendre en charge. l'âge de prise en charge peut varier d'un enfant à l'autre. chacun choisira alors une ou plusieurs toiles qui ne seront pas obligatoirement celles que les parents leur destinaient initialement. ils choisiront un ou plusieurs murs, des couleurs, un accrochage.
ils actualiseront cette peinture en prenant appui avec au départ l'aide des parents, sur les règles habituelles des dé-finitions/méthodes.
lorque les enfants quittent le foyer ils emportent leur(s) toile(s). l'histoire continue, ailleurs, autre. chaque enfant qui fonde un foyer poursuit l'histoire de la famille.
par contre les enfants n'héritent pas des toiles de leurs parents. lorsque ceux-ci (...)
Claude Rutault (1941-2022) est un peintre conceptuel français dont l'ensemble de l'œuvre vise à une déconstruction générale des modes d'existence du tableau.
Claude Rutault ne réalise pas ses toiles lui-même, il ne les fait pas fabriquer dans son atelier, il ne supervise pas ses accrochages, il rédige par contre un ensemble de consignes, d'instructions et de recommandations appelées « définitions/méthodes ». Celles-ci sont méticuleusement suivies par un collectionneur, un musée ou une galerie qu'il appelle les « preneurs en charge » et qui s'attellent à les « actualiser ».
L'origine de sa réflexion naît en 1973, lors de la mise en peinture des murs de sa cuisine, pendant son aménagement dans sa nouvelle maison. Il repeint dans la foulée une des toiles qui s'y trouve pour la raccrocher ensuite. Depuis, il réfléchit et approfondit la portée de son acte. Sa première « dé-finitions/méthodes » (1973) porte le numéro 1 : toile à l'unité « une toile tendue sur châssis peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée. Sont utilisables tous les formats standards disponibles dans le commerce, qu'ils soient rectangulaires, carrés, ronds ou ovales. L'accrochage est traditionnel. »
Ses toiles ont une durée de vie limitée. En effet, si le « preneur en charge » vient à décider de la déplacer ou de repeindre le mur sur lequel elle est accrochée, il sera obligé d'en faire de même pour la toile et lui donnera par conséquence une nouvelle identité, il la « réactualise ». Les consignes des « définitions/méthodes » sont claires, courtes et simples. Leurs exécutions dépendent uniquement du « preneur en charge ». Leurs interprétations, le suivi des consignes, les formes, les couleurs, l'emplacement, le contexte, participent à l'absence de maîtrise que Rutault a sur elles. Ces paramètres sont imprévisibles, liés uniquement au « preneur en charge » et ne peuvent pas être anticipés. Si ses toiles évoluent de manière imprévue, le « preneur en charge » devra en avertir Rutault.
Au fil de temps, il a dû accepter que ses toiles aient leurs propres chemins et leurs propres existences. Elles évoluent sans balises, sans contrôle de sa part. Ses « définitions/méthodes » ont décrit la naissance de centaines de toiles dont il n'est plus responsable au fil du temps qui passe.