Cette publication retrace deux ans d'un projet organisé à la Haute École d'Art et de Design de Genève autour de la notion de dérive, avec des textes théoriques, des contributions d'artistes et des contributions issues de projets pédagogiques, workshops et expositions.
La dérive est un concept et une expérience commune à tous, à des degrés divers et de façons différentes. De l'errance au naufrage volontaire ou involontaire, c'est une façon de naviguer singulière. La dérive peut être envisagée physiquement et mentalement, dans un espace étendu (les continents, les océans) ou restreint (une chambre), voire dans la position du voyageur immobile. La dérive touche au corps et aux flux, aux façons de se déplacer, à la pensée, au rêve et à la rêverie, à la pathologie, à l'indifférence. La dérive s'opère par glissements successifs ou par changements brusques. Elle est subie ou souhaitée.
Ce livre est issu du projet pédagogique sur la polysémie de la dérive, conçu et mené sur deux ans par l'équipe enseignante de l'option Construction, Art et Espaces à la Haute école d'art et de design, Genève : Christian Gonzenbach, Katharina Hohmann, Valérie Mavridorakis,
Delphine Reist et Ambroise Tièche.
« On pourrait trouver étrange ou contradictoire, sinon insensé, de prendre une notion telle celle de
dérive comme sujet de travail dans le cadre d'une institution pédagogique. L'école, en effet, et l'école d'art en particulier, sont censées – dit-on – donner des repères, ancrer un propos, situer la production des jeunes artistes évoluant en leur sein. L'école semble
mal s'accommoder des concepts menaçant sa transparente
rigueur formative : glissement, perte et brouillage des
sens représenteraient autant d'atteintes à la construction rationnelle du projet pédagogique.
Pour autant, opposer dérive et apprentissage serait se méprendre sur l'enjeu du projet dont cet ouvrage est issu, et
la méthode singulière mise en oeuvre par le programme qui l'a mené. L'option Construction du Bachelor en Arts visuels de la HEAD – Genève a, en l'occurrence, construit son identité sur sa capacité à déplacer les lignes de partage entre pédagogie et production, théorie et pratique, intérieur et extérieur de l'école. Ce qui est ici en jeu, est une approche de
la transmission qui, à l'inculcation de principes généraux, préfère la création de protocoles d'expériences inédits.
Qu'elle emploie les formes étonnantes d'une marche sur le Salève, d'un voyage entre Genève et Berlin devenant l'espace-temps de la production d'une exposition, d'une enquête aux confins du Texas, d'une traversée du lac Léman, la dérive appliquée à l'enseignement en art, permet l'exploration des rives, de ces limites à la quête d'intensités. La méthode
affirmée ici s'inscrit dans la continuité d'une vision de l'enseignement artistique qui, en fonctionnant par opposition
de polarités – décentrement et recherche, déconstruction
et création de situations – met en mouvement autant de processus uniques, de création de possibles, de formes de
relations entre les êtres, d'imaginaires inouïs. Contribuant
à révéler ce que peut être, aujourd'hui, une école d'art. »
Yann Chateigné