zoneblanche est un livre silencieux : aucun texte n'accompagne ces quelque
six cents aquarelles qui rythment les quinze premières années (1991/2006) du
travail d'Yvan salomone. Mais
zoneblanche est un livre qui n'en est pas moins
éloquent : il suffit de se plonger dans ce défilé d'images pour que ces véritables
visions s'adressent à nous, nous atteignent, c'est-à-dire nous parlent. Il suffit
de s'abandonner à ce déluge visuel pour qu'un ample regard sur le monde se
constitue devant nous, se matérialise dans nos mains, et nous sollicite, autrement
dit nous interroge.
Qu'est-ce qu'un théâtre d'opérations ? Qu'est-ce qu'un
chantier ? Qu'est-ce qu'une zone ? Que construisent les hommes sur la terre ?
Que font-ils ? Ces questions faussement simples que Salomone traite plastiquement
en photographiant ses motifs à travers moult voyages – ce qui lui
permet de donner à ces problématiques une résonance planétaire –, n'ont
d'autre ambition que de nous ouvrir les yeux sur les conditions de notre séjour
ici-bas. Et même si aucun être humain n'est visible dans ces images, dans ces
scènes du monde, c'est pourtant l'existence de ce dernier qui y est enregistrée
selon un protocole immuable dont le résultat – des aquarelles – n'est anachronique
qu'en apparence. D'où la singularité précieuse de ce travail et de
sa situation dans l'art actuel qu'il importait de cristalliser en un objet à elle
adapté et cependant pas unique dans son apparence. Car, publié en 2010 par le
Mamco,
Le point d'Ithaque proposait le versant écrit du travail d'Yvan Salomone,
soit six cents textes qui exploraient, prolongeaient, reprenaient chacune des
aquarelles ici réunies.
zoneblanche est la version imagée, et identique dans
son format, de ce premier livre, mais aussi son véritable point de départ, un
continent – un bloc visuel – tout entier fait de
vedute dont chacun pourra à
présent constater à quel point elles n'en finissent pas de nous regarder.
Le travail d'Yvan Salomone (né en 1957 à Saint-Malo, où il vit et travaille) commence par la reproduction sur format identique d'images qui sont ensuite retravaillées et recadrées. S'obligeant à suivre un protocole très strict, il réalise chaque semaine une aquarelle, à partir de photographies donnant à voir des lieux délaissés, périphériques, sans vie humaine. La singularité de l'œuvre de Salomone se situe dans cette rencontre anachronique et inattendue entre le classicisme de la technique et l'approche résolument contemporaine du sujet. L'artiste a consacré une part importante de son travail à la représentation de sites portuaires de sa région natale, qu'il a élargie ensuite aux images de chantiers et autres terrains vagues.