Monographie de référence.
La stratégie de Pascal Pinaud est claire. Elle vise à maintenir le tableau
comme mémoire, forme, support et structure de la peinture, un archétype et
un prétexte, une scène commode, indémodable et surcodée. Sa tactique n'est
pas moins limpide. Ouvrir plusieurs fronts et mener les batailles ou les
parties en simultané. Tous les angles d'attaque diffèrent et tous se valent.
L'avantage décisif ne peut tenir qu'à cette dispersion désinvolte, cette
démultiplication dépensière des scénarios, tous également mis au point,
minutieusement suivis, méticuleusement réalisés, la qualité de la mise en
|uvre de chacun contrastent d'autant plus avec l'équivalence vaine de tous.
La peinture s'est longtemps rêvée comme une question de maîtrise, de
savoir-faire d'exception : le rendu redonde ici le caractère fini de ce rêve
comme de la peinture elle-même.
A l'inachevé, au bâclé, au défait où le vingtième siècle a souvent trouvé sa
marque, Pascal Pinaud préfère l'insistance gratuite d'un goût du laborieux
et du réussi, vertige artisanal pervers dont l'humour insidieux consiste à
réétablir la séduction dans la fascination vide du métier perdu. Ses glacis
profonds, ses marquetteries sophistiquées, ses broderies chatoyantes, ses
impeccables laques de carrosserie, comme les gouttes ou les macarons de
couleur précieuse ou kitsch qui constellent d'autres de ses tableaux ne
relèvent donc d'aucune nostalgie frelatée. Ce sont autant de détrompe-l'oeil
qui ne réintègrent au tableau les beautés exilées du bien fait ou les signes
héroïques de l'histoire de la peinture radicale que pour en ravager les
prétentions et les significations.
Pascal Pinaud (né en 1964, vit et travaille à Nice) est un des artistes les plus talentueux de cette génération qui, à partir des années 1990, a remis en question les principes de la
peinture pour mieux continuer à peindre. Issu de l'École d'art de la
Villa Arson (Nice), il participe à l'effervescence théorique et pratique qui génèrera parmi les meilleurs artistes du moment.
Très vite exposé, il pose les principes d'une œuvre qui l'amène à travailler à des séries différentes et à associer sa création à des gestes et des méthodes de production, empruntés à l'industrie, à l'artisanat ou à certaines situations de la vie quotidienne.
Il propose alors des peintures, des sculptures, des photographies, des installations où une histoire de nos capacités créatrices et transformatrices du réel se mixe avec l'histoire des arts. Il pose ainsi la question de leurs relations entre notre environnement physique et mental et le
design, l'
architecture, une certaine poésie de l'«
every day life », une « aventure ordinaire » qui est le bien de tous. Il analyse, il déroute, il nous conduit sur des terrains où les formes permettent d'expérimenter « mille vies ». Il évoque souvent le dialogue de son œuvre avec celles de Gérard Gasiorowski,
Bertrand Lavier,
John Armleder,
Noël Dolla ou encore avec certains peintres de l'abstraction américaine des années 1980 comme Philip Taaffe ou Jonathan Lasker. Il a exposé dans de nombreux musées ou centres d'art à travers le monde, depuis le
Mamco de Genève jusqu'au
Frac Bretagne. Ses œuvres sont présentes dans de grandes collections internationales publiques ou privées, celle du Musée Ludwig à Vienne comme celle du MNAM à Paris. À chaque étape de son œuvre, il choisit une position expérimentale qui met en jeu la vitalité de l'art, celle de la vue, des gestes créatifs au sein d'une société qu'il utilise comme une source permanente d'inspirations et d'inventions plastiques.
Voir aussi
Pascal Pinaud ;
Thomas Golsenne : Pascal Pinaud – Serial Painter.
Éric de Chassey (né en 1965 à Pittsburgh) est un historien de l'art, critique et professeur d'art contemporain français. Il est directeur général de l'Institut national d'histoire de l'art depuis 2016, après avoir été directeur de l'Académie de France à Rome de 2009 à 2015.