Le rapport langue-pensée au cœur de la
pédagogie républicaine et des sciences humaines au tournant du XIXe et du XXe siècle.
Le langage de l'enfant, le langage de l'écolier, de l'enfant du peuple, fait l'objet d'observations à la fois patientes et passionnées à la fin du XIXe siècle et toutes ces observations sont résumées dans l'expression qui devient courante alors de « vie du langage ». Quelque chose là ne se laisse pas dire, sinon par métaphore.
Qu'entend-on par « vie du langage » ? La référence au puissant paradigme de la vie est fort à la mode car l'évolutionnisme spencérien, puis darwinien, a pris le pouvoir sur toutes les sciences dans la deuxième moitié du siècle. Pour autant, la vie en question n'est qu'une métaphore : il ne s'agit pas, en France du moins, d'appliquer littéralement au langage les caractéristiques des êtres vivants. Ce mode d'expression signale l'émergence d'une vision nouvelle des rapports entre langue et pensée, qui bouleverse les cadres classiques de la question. Il se découvre, dans le babillage de l'enfant, comme dans le langage automatique des fous, ou bien encore dans la misère linguistique du peuple, une insubordination de la langue à la pensée. Les gens ne pensent pas ce qu'ils disent, ils parlent sans penser ou pensent sans parler. En réalité, et en dépit de toutes les illusions qu'ils entretiennent à ce sujet, leur langue est assez rarement ajustée à leurs idées, elle les devance ou les ignore, elle « vit » à sa façon.
Comment dès lors arriver à une langue « juste » ? Comment éduquer le peuple, l'enfant du peuple, de manière à ce qu'il puisse maîtriser sa pensée ? Telle est la question centrale de la pédagogie républicaine qui travaille, au tournant du XIXe et du XXe siècle, en étroite relation avec les sciences humaines naissantes.
Sophie Statius, ancienne élève de l'ENS Fontenay, agrégée de Lettres modernes et docteure en sciences du langage et en sciences de l'éducation, est professeur de lettres à l'Université de Franche-Comté (IUFM, école interne de l'Université).