Une enquête sur le mouvement genevois
Ecart – un point sur une période de l'art suisse et européen particulièrement foisonnante et provocante.
L'histoire de l'art n'aime pas les groupes. Elle préfère les héros solitaires. Il lui faut de grands artistes, d'irréductibles individualités : trajectoires singulières, étoiles fixes, chefs-d'œuvre intemporels. Authenticité, sérieux, sincérité, originalité, cohérence, identité, continuité sont quelques-unes des vertus cardinales de son idéologie latente. Le collectif, le contagieux, l'échangisme, l'anonymat, l'éphémère, le négligé, l'erratique, le gratuit, l'infime, le divers, le multiple, l'indiscernable, le je-ne-sais-quoi et le presque-rien, le je-ne-sais-pourquoi et le presque-trop, l'insituable, l'infantile, le farfelu, la confusion des genres, le sans queue ni tête appliqué, le minutieux en vain, l'accumulé en pure perte, les loisirs de la poste, la promenade, le lacunaire, l'indiqué en passant, les désinvolte-face, les conversations inconservables, les bribes, le banal, l'ambigu, le bien imité, les dénégations de pouvoir, les délégations d'impouvoir, les stratégies du plus petit décalage commun, l'« infra-mince » vu au téléscope, les tactiques d'indifférence, le quotidien à géométrie variable, le thé à toute heure, les éternités parallèles, l'interchangeable généralisé, etc. – autant de trous noirs du discours historiographique dominant. D'où l'opportunité, par exemple, de cette première enquête méthodique sur l'un des confettis de l'empire invisible de l'art expérimental dans les années soixante-dix : Ecart, groupe (au moindre sens du terme) d'activistes de l'inutile, ayant sévi à Genève et ailleurs dans le monde, entre 1969 et 1982.