La première monographie du dessinateur du désir japonais.
Dans ce livre abondamment illustré, Xavier-Gilles Néret analyse l'œuvre de Yoshifumi Hayashi selon une perspective existentielle et philosophique autant qu'artistique, nourrie de ses entretiens avec le dessinateur japonais, qui affirme sans vergogne depuis près d'un demi-siècle l'importance du désir sexuel et du corps dans toutes ses dimensions matérielles.
De ses dessins érotiques de femmes callipyges à ses paysages sexualisés, en passant par ses fleurs vulvaires et ithyphalliques ou ses « natures mortes » grouillantes de vie, Hayashi poursuit sa quête des mystères de la matière par les subtils jeux de lumière des dégradés de la mine de plomb dont il est devenu le virtuose alchimiste, pour alimenter l'irrépressible désir et « repassionner la vie ».
Ouvrage lauréat du Prix Sade 2024 du livre d'art.
Né à Fukuoka, au Japon, en 1948, Yoshifumi Hayashi s'est initié au dessin en autodidacte après son installation à Paris, en 1974, où il a vécu jusqu'en 2021. L'art de la mine de plomb, qui a fait sa gloire auprès d'amateurs fervents, reste, un demi-siècle plus tard, sa principale activité. Hayashi ne revendique cependant pas le statut d'« artiste » et ne s'identifie à aucune posture sociale. Il est un chercheur, un expérimentateur de la vie, dont la pratique du dessin n'est qu'un aspect, inséparable de ses approches de la philosophie, de la psychanalyse, et, en définitive, de la science, dans une perspective philosophique radicalement matérialiste. « Le système du cerveau, dit Hayashi, n'est pas un conte de fées. La vérité est toujours la matière. L'homme ne veut pas admettre cette vérité, car il croit que l'esprit est sublime et supérieur à la matière, idée narcissique enfantine. C'est la matière que je veux trouver. Le plus mystérieux dans ce monde, ce n'est pas l'esprit, c'est la matière. »
Dans son travail de dessinateur, l'intérêt pour la personne humaine tend à disparaître au profit d'un puissant désir impersonnel du corps. Objet initial du désir, la femme hayashienne est réifiée, ligotée, torturée, souillée, pénétrée, réduite à un corps fantasmé, ou à un fragment de corps fétichisé, avec une prédilection pour les fesses massives et les jambes proéminentes aux pieds chaussés de talons aiguilles, qu'il aime juxtaposer ou empiler dans ses compositions. Mais le désir/délire sexuel, chez Hayashi, ne porte pas seulement sur le corps féminin. Il s'élève aussi, au-delà de l'humanité, à une échelle cosmique. Son travail, d'abord consacré à un érotisme féminin centré sur des corps situés dans des espaces clos aux perspectives inquiétantes, s'est élargi, ces dernières années, aux dimensions de l'univers, dans des paysages fantastiques – îles, nuages, calanques. Les subtilités de la mine de plomb – clairs-obscurs, grisés, veloutés des ombres –, restent vouées à la charge érotique, cœur de son œuvre, qu'il s'agisse de ses microcosmes – nus, fleurs vulvaires et ithyphalliques, « natures mortes » grouillant de vie – ou de ses paysages qui en constituent les développements macrocosmiques, eux-mêmes foisonnant d'éléments sexualisés.
Avec ses dessins intempestifs, tant par leur contenu offusquant le prétendu « bon goût » et la morale conventionnelle, que par leur facture à la minutie digne des maîtres du Trecento, preuve est faite par Hayashi que l'art rétinien n'est pas mort, s'il parvient à capter de manière inédite des forces insensibles et à faire vibrer l'ensemble du corps des regardeurs – peau, cerveau, moelle, tripes, sexe –, intensifiant la vie qui les traverse.
(Xavier-Gilles Néret)