Une série de « Bad Paintings » de l'artiste genevois emblématique du genre.
Des bruits blancs s'échappent du 3ème étage d'un bâtiment cossu situé dans le quartier des Eaux-Vives. Dans un appartement, reconverti en laboratoire, ronronnent tout un tas de machines compliquées reliées entre elles par un enchevêtrement de fils électriques multicolores. Au milieu de tout ce bazar, emballé dans des bâches plastiques transparentes, aura lieu dans quelques instants une expérience inédite.
En effet, pour la première fois de l'histoire, une équipe de chercheurs va pouvoir décoder avec précision le processus créatif d'un artiste. Plongé dans un coma artificiel, le peintre genevois Josse Bailly porte une sorte de casque de moto, d'où jaillissent des câbles bariolés. À l'issue du test, la pratique picturale foisonnante de Bailly n'aura plus de secret pour les scientifiques présents. Le mécanisme de sa frénésie artistique, cette véritable fureur de peindre, sera traduit de manière intelligible et logique.
Soudain, un grésillement se fait entendre. Les yeux révulsés, Bailly se redresse brusquement à l'équerre sur la table de massage transformée en chaise électrique. De l'écume aux lèvres, il psalmodie une série de noms de vieux groupes de rock des années 70. Des flammèches sortent des narines noircies de l'artiste. On dirait que sa tête va exploser d'une minute à l'autre. Les écrans s'illuminent dans la fumée. Des mots défilent sans interruption sur les moniteurs : « Le fauteuil poire », « Betteraves à la Harvard », « I LOVE MY WIENER DOG ».
Les plombs disjonctent, mettant un terme à l'étrange scène qui évoque davantage une exécution planifiée qu'une étude scientifique. Une expression de perplexité se fige sur les visages médusés de l'équipe de chercheurs. Dans un silence pesant où règne une odeur de roussi, un jeune assistant se risque à glisser d'une voix confuse : « Je pense qu'il illustre volontiers des teckels car il les trouve chou et que c'est cool de les dessiner ».
Publié à l'occasion de l'exposition « Le chien Sosis » à Smallville, Neuchâtel, en 2024.
Représentant de la « Bad Painting », Josse Bailly (né en 1977 à Chêne-Bougeries, Suisse) est un peintre et dessinateur actif sur la scène alternative genevoise, comme dans les circuits plus officiels de l'art contemporain. Il commence sa pratique en autodidacte au sein de la scène squat genevoise, avant d'entreprendre un parcours académique à la
HEAD de 2007 à 2012. Son travail a été exposé dans plusieurs institutions et centres d'arts en Suisse et à l'étranger. Lauréat de plusieurs prix (le prix de la Nationale Suisse en 2010, le prix New Heads BNP Paribas en 2012 et le Swiss Art Award en 2013), il a publié son travail dans des catalogues collectifs tels que
Voici un dessin suisse (JRP|Ringier, 2010), ainsi que sous la forme de livres d'artiste édités par la maison
Nieves.