Soupçonné d'avoir été complètement assimilé par les industries marchandes, ce n'est pas tant contre celles-ci qu'il faut défendre l'art que contre un récit simpliste imposé par une certaine sociologie de l'art. Lorsqu'on s'intéresse enfin aux pratiques artistiques elles-mêmes, il devient évident que l'art continue de résister : par sa politique des formes.
À l'heure où l'industrie culturelle et le système de production entendent capter et détourner à leurs propres fins les stratégies des avant-gardes artistiques, il semble admis que l'art a désormais perdu sa force de résistance. Sous l'espèce d'un design généralisé, le style est en effet devenu un argument de vente, le happening a été récupéré par l'événementiel, et la figure de l'artiste, autrefois marginale, est érigée en modèle d'entreprenariat dans une société qui en appelle à la créativité et à l'autonomie des travailleurs. Pour une frange significative de la sociologie contemporaine, le capitalisme aurait donc entièrement assimilé les formes et les procédés de l'art, ne laissant plus d'autre choix aux artistes que de courtiser des pouvoirs financiers qui monopolisent désormais les leviers de la subversion.
Laurent Buffet poursuit un double objectif. Il retrace tout d'abord les étapes de formation de ce « paradigme sociologique de l'art » afin de le soumettre à un examen critique. Il est frappant de constater que la sociologie, empirique en son principe, se montre pour l'occasion aveugle aux propriétés évolutives de son objet, autrement dit aux pratiques artistiques prises dans le développement de leur propre histoire. En mettant en évidence la richesse et la subtilité de ces pratiques, le livre poursuit par conséquent un second objectif : montrer que, face aux divers processus de captation dans lesquelles l'art se trouve désormais entraîné, celui-ci ne cesse de subvertir les conventions artistiques, en grande partie dépassées, au nom desquelles ces phénomènes s'exercent, creusant ainsi des marges nouvelles et insoupçonnées. Refonder aujourd'hui une théorie critique de la culture suppose de faire apparaître les mutations du potentiel de résistance qui continue à opérer dans les formes contemporaines de l'art.
« Laurent Buffet prend à revers les critiques de l'art contemporain qui le réduisent à un produit de la société capitaliste et fait au contraire valoir son autonomie et son caractère subversif. »
Christian Ruby, Nonfiction
« Buffet décrypte les procès d'intention intentés aux arts d'avant-garde, depuis la critique – de gauche ou de droite – de Mai 68 jusqu'à leur assimilation postmoderniste à une industrie culturelle parmi d'autres. »
Jean-Charles Agboton-Jumeau, Le Monde diplomatique
« A travers ces analyses d'œuvres, Buffet questionne ce qui relève véritablement d'une connivence ou d'une congruence entre le capitalisme et l'art contemporain, et ce qui relève, en revanche, d'une certaine figure de l'artiste, dépassée et stéréotypée, utilisée pour expliquer des phénomènes propres au capitalisme néolibéral. Cet ouvrage est donc une addition précieuse aux réflexions sur l'art contemporain et ses théories, par sa capacité à se confronter tant aux auteurs qu'aux œuvres pour rouvrir les problèmes de la philosophie de l'art. »
Eloïse Frœhly, Nouvelle revue d'esthétique
Laurent Buffet (né en 1971) est théoricien de l'art, critique, professeur de philosophie de l'art à l'École supérieure d'arts et médias de Caen/Cherbourg.