Introduction, p. 22-25
(...) c'est l'examen de la méthode forgée par
Richard Hamilton pour construire ses
représentations des « apparences contemporaines » qui guide les pages suivantes.
Revenir sur son élaboration, son développement et ses enjeux, implique d'opérer au
plus près des œuvres dont il s'agira d'analyser la
structure, suivant en cela la démarche
adoptée par Daniel Arasse dans son étude brillante de l'œuvre de Vermeer
(42). Décrire
et déchiffrer la « structure Hamilton », pour reprendre le mot à l'historien – en rapport
à un contenu –, c'est adopter un modèle monographique opératoire dans l'étude d'une
œuvre qui a pâti d'un manque de visibilité. S'agissant aussi d'en mesurer l'éventuelle différence par rapport aux pratiques picturales communes d'une époque, c'est dans un
mouvement parallèle à l'examen de ses circonstances historiques et de ses conjonctures
artistiques que nous reviendrons sur la construction de cet art. D'un point de vue
méthodologique, l'analyse sémiologique sera privilégiée, celle-ci permettant de
démonter les mécanismes de la signification et de révéler les qualités formalistes des
œuvres. La coupler à une approche de type comparatif – seront convoqués les travaux
d'artistes tels Eduardo Paolozzi,
Andy Warhol,
Gerhard Richter, pour n'en citer que
quelques-uns – offrira par ailleurs de replacer les œuvres ainsi examinées dans leur
contexte historique et artistique propre, et de les y confronter. Au modèle canonique
de la monographie d'artiste classique (la biographie – l'œuvre– la fortune critique), qui
du reste est « entré en crise » (
Éric de Chassey), a donc été préféré celui de la « monographie
problématisée » pour utiliser une expression de
Jean-Marc Poinsot (43). Et, sans
prétendre à l'exhaustivité, il s'est agi de faire un choix d'œuvres significatif qui soit à
même de donner une impression de complétude. La démarche qui fut suivie correspond
aux parties successives de ce livre.
Dans la mesure où l'on comprend le passé par le présent, c'est à partir de ce que
Richard Hamilton est devenu – pour ainsi dire à l'automne de sa vie – que ce parcours
est initié. S'il est amorcé en 1970, avec la sérigraphie
Kent State – première des
œuvres que l'artiste a créées à partir d'une image télévisuelle –, l'analyse sera largement
dévolue à l'examen des trois diptyques qu'il a consacrés à la question irlandaise
de 1982 à 1993. Notre enquête se veut patiente et opère par vagues successives.
Examiner en détail le processus qui conduit Hamilton du choix des sources à la réalisation
de ses peintures éclairera le déplacement que celles-ci imposent, d'une approche thématique à une autre, portant sur les problématiques de l'image et sur sa
capacité à condenser plusieurs récits. Les divers aspects de l'œuvre seront envisagés
car il conviendra de surdéterminer la lecture de la forme et du sens.
Les conclusions apportées ouvrent la réflexion engagée ensuite, à rebours de ce
premier moment. L'ouvrage se poursuit en effet suivant un déroulement chronologique,
dans la mesure où c'est ainsi que s'organisent les ensembles d'œuvres élaborés
par l'artiste. D'une modalité au temps présent, nous passerons donc à une autre, avec
l'examen des premières peintures qui, en 1950, attestent de la recherche mise en
place par Hamilton, et l'évocation des expositions dont il a été le témoin et l'acteur;
expositions qui comme
Growth and Form en 1951, et
Man, Machine and Motion en
1955, sont à la fois commentaires du passé ou du présent, et œuvres, par leur conception,
leur scénographie et les productions plastiques induites. L'élaboration de sa
méthode sera envisagée en relation aux thèmes et aux questions abordés dans la diversité
des enjeux du modernisme, car Hamilton s'est trouvé au centre du débat sur la
modernité entrepris dans le cadre des activités de l'Independent Group dont il fut, à
l'Institute of Contemporary Arts de Londres, l'un des fondateurs. Sa présence dans l'histoire
de ce groupe et de ses expositions conduira à en faire le récit d'une manière qui
se distingue de celles destinées à l'introduction du seul
Pop Art. Nous pourrons dès
lors mesurer combien ouvrir son art à ces « vues synthétiques » du monde qu'offrent
les mass médias – dont
Just what is it… constitue en 1956 une première application
concrète – ne peut s'effectuer, pour Hamilton, qu'une fois une
structure spécifique
construite.
Le Pop Art n'est pas négligé pour autant, puisqu'il apparaît au centre des questions
relatives à un groupe d'œuvres initié en 1957 avec
Hommage à Chrysler Corp., et
achevé en 1964 avec
Epiphany qui en établit aussi la synthèse. L'iconographie publicitaire
est au cœur des peintures sur lesquelles portera notre attention. Enrichir la lecture
de l'image permettra de rendre compte de ces thèmes que Hamilton partageait avec ses contemporains, et au travers desquels il a fait montre de sa singularité. Il
apparaîtra aussi que sa démarche devient un véritable « programme », dont certains
des composants pointent des références insuffisamment exploitées dans ce cadre (en
particulier
Marcel Duchamp et James Joyce). La mise en évidence de ces matériaux
propres à une « stratégie plastique » qui organise les signes en relation à un contenu
nous amènera enfin à examiner les modalités d'inscription des œuvres de Hamilton
dans l'histoire du Pop Art – et à prendre la mesure de la déviation qu'elles présentent.
Le dernier chapitre consacré aux relations du peintre à la photographie – dans la
diversité de ses supports (de la coupure de presse à la carte postale) et des univers
qu'elle convoque (du fait social aux loisirs) – s'inscrit sur un nombre plus important
d'œuvres exécutées entre 1964 et 1969. Cette même quête de l'image, jamais coupée
de sa contemporanéité (voire de son actualité), et de sa méthode, met en lumière
un corpus dont l'originalité doit être distinguée. En effet, nous serons en mesure d'affirmer
le précédent historique de Hamilton dans son exploration des rapports entre la
peinture et la photographie.
Les pages qui suivent voudraient proposer un nouvel éclairage sur les développements
de la carrière d'un artiste dont l'œuvre, depuis plus d'un demi-siècle, se partage
entre vif éclat et éclipse. Dans la mesure où Richard Hamilton en fut un témoin ou
un acteur particulièrement aigu, ce parcours voudrait aussi offrir de traverser une partie
passionnante de l'histoire de l'art du XXe siècle.
42 Voir Daniel Arasse (1944-2003),
L'Ambition de Vermeer, Paris, Adam Biro, 1993, 2001.
43 À ce sujet, il convient notamment de se reporter au dossier « La monographie d'artiste », in
Perspective. La revue de l'INHA, 2006-4.