extrait
Edito
Jean de Loisy
(p. 5)
L'art est la géographie de notre conscience. Il se développe depuis 40 000 ans par inclusions successives. La clôture académique des pratiques et des techniques ne le résume pas et, au fond, personne ne sait exactement quels sont ses bords. Ce n'est même pas la marge qui fait varier la surface de la page car la ligne de marge n'existe pas. Le territoire de l'art n'est pas limité car l'art n'est pas une discipline, mais un système de connexions entre la totalité des connaissances et des aspirations humaines. Depuis toujours, il embrasse science, philosophie, spiritualité, expérience personnelle, jeux du corps, politique, urbanisme – et probablement bien d'autres domaines – et se joue des frontières. Des pratiques, extérieures au champ de la notion convenue de « Beaux-Arts », ne pourraient-elles prétendre relever de sa souveraineté ? Nombre de scientifiques – chimistes, ingénieurs, psychologues – qui ne se considéraient pas artistes, ne sont-ils pas inséparables de l'histoire de l'art moderne car leurs apports en ont transformé le cours ?
C'est pourquoi, il y a moins de deux ans, j'ai demandé à Rebecca Lamarche-Vadel de se consacrer à la question suivante : existe-t-il une création hors de ce que nous appelons l'art et qui pourrait pourtant nous concerner ? Nous avions, pour nous servir de guides, les exemples nombreux et bien connus de Niépce, Marey, Duchenne de Boulogne, Clairambault, Opicinus de Canistris, Zumbo, des frères Carmagnolle, ou encore de Carlos Espinosa et de bien d'autres. Nous avions surtout en mémoire la fameuse interrogation de Marcel Duchamp : « Peut-on faire des œuvres qui ne soient pas “d'art” ? »
L'exposition « Le Bord des mondes » présentée au Palais de Tokyo, et auquel ce numéro de PALAIS est entièrement consacré, est le résultat de l'aventure intellectuelle et physique conduite par Rebecca Lamarche-Vadel, sa commissaire, pour mener à bien ce projet, et du discernement dont elle a fait preuve dans ses choix. Voyez là les premiers résultats d'une recherche qui pourrait ne pas avoir de fin. Elle est accompagnée par l'indispensable soutien que nous a apporté en cours de route le grand écrivain du xive siècle Eustache Deschamps avec sa merveilleuse ballade dont le refrain est devenu notre devise et qui pourrait peut-être devenir celle de tout étudiant en art : « Il ne scet rien qui ne va hors. »