les presses du réel

Mouvement n° 75

extrait
Edito
Journalisme n'est pas un gros mot
(p. 5)


En 1993, Jean-Marc Adolphe crée Mouvement. Quelques pages dactylographiées dédiées à la danse contemporaine, distribuées gratuitement dans les lieux culturels. Nous apprenons alors tout juste à lire. Quand nous rejoignons à notre tour l'équipe, Mouvement a déjà une longue histoire. En témoignent les imposantes archives de la cave et les mémoires, vivantes, de ceux et celles qui ont accompagné Jean-Marc. Charlotte Imbault, Meghedi Simonian, Pascaline Vallée et beaucoup d'autres.

Vingt ans et des poussières d'une histoire de presse indépendante à rebours des canons commerciaux. Vingt ans de défrichage artistique, d'exigence et d'engagements politiques qui marquent durablement la création contemporaine. De combats aussi, jusqu'à cette journée de mai 2014 où nous admettons tristement que les ressources financières de la société d'édition ne permettront pas d'imprimer le numéro d'été. Le glas de la liquidation judiciaire, donc.

Seulement, certaines réalités ne s'acceptent pas. Nous ne voulons ni voir cet espace de liberté éditoriale disparaître, ni quitter cette communauté d'esprit qui nous est devenue chère. Quiconque a un jour tenu Mouvement entre ses mains a conscience qu'il s'agit d'un magazine un peu particulier. De l'autre côté – sans rentrer dans le détail d'une cuisine qui nous est propre – ce sentiment est plus vif encore. Avoir le temps de la réflexion et l'espace pour la déployer est un luxe. Travailler avec des journalistes et photographes au regard et à la plume si rares, bien plus encore. Qu'ils en soient ici chaleureusement remerciés.

Nous décidons alors – non sans un certain goût du défi – d'écrire à notre manière une nouvelle page de Mouvement. Battre à nouveau les cartes. Donner tort aux pessimistes qui assènent, dans leur aveuglement à l'égard des initiatives audacieuses pourtant nombreuses à naître, que la presse papier est morte. Et nous descendons à la cave, comme on remonterait le temps. C'est entre les lignes des anciens numéros que nous puisons en partie le matériau nécessaire à l'invention de cette nouvelle édition. Une insatiable curiosité à l'égard du vivant, une progression intellectuelle par capillarité et réseaux de sens, la conviction que le journalisme est, aussi, littérature.

Progressivement, se dessine en filigrane un peu de nous dans ce Mouvement. Notre désir de reportage. Partir sur les traces de l'écrivain Malcolm Lowry à Cuernavaca ; voir Diyarbakir, capitale imaginaire du Kurdistan ; partager les répétitions de la chorégraphe Dorothée Munyaneza.
Notre volonté d'explorer les enjeux des sociétés contemporaines par le prisme de la création. Notre idée qu'une histoire se raconte parfois mieux sans mots. En témoigne le portfolio inédit du photo-reporter Yan Morvan, au cœur des guerres libyennes et libanaises ; la qualité du travail photographique qui traverse intégralement ces pages, tout autant.
Notre envie d'inviter la parole de poètes et d'artistes, intraduisible dans une autre langue que celle qui leur est propre.
Notre besoin de casser quelques murs, en ouvrant la scène artistique à ceux qui ne pensent pas avoir les codes pour la comprendre, ou en sortant de l'ombre ceux qui, des coulisses, la font vivre.

Enfin, une nécessité de légèreté et de salutaires grands écarts culturels.

Comme le disait Jean-Marc : « On n'est pas payés chers, mais au moins on s'amuse. » Que vous soyez des fidèles de Mouvement ou que vous le découvriez, nous espérons que vous partagerez le plaisir de ce n° 75 avec nous.

Aïnhoa Jean-Calmettes et Jean-Roch de Logivière


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