Edito
Jean de Loisy
(p. 3)
Dans le recueil
Écrire les expositions,
Harald Szeemann recommandait de concevoir une exposition comme on compose une phrase. Sans doute soulignait-il ainsi la capacité de l'exposition à raconter une histoire, défendre une théorie, naître de rencontres ou témoigner d'un engagement, mais aussi son phrasé. Cette façon dont les mots, les syntagmes, les sons s'enchaînent pour créer un rythme qui, entraînant ou méditatif, régulier ou saccadé, produit une mélodie, une émotion, un climat, influençant notre écoute d'une parole, notre lecture d'un texte ou encore notre visite d'une exposition. Comment, en effet, transposer cela en exposition ? Comment étonner par l'attaque de la première œuvre, entrer plus profondément dans le sens avec la seconde, créer un silence avec la troisième ? Comment apaiser l'excitation mentale avec l'œuvre suivante, tout en maintenant le lien entre les œuvres par un savant glissando, tout en soignant la relation d'une œuvre à sa voisine, de sorte que, d'une œuvre à une autre, ce soit par inflexion qu'on plonge peu à peu dans le récit sans que pourtant jamais celui-ci ne s'impose au sens profond des œuvres et aux intentions des artistes ? Comment, par le fil fragile qui relie les associations, permettre à la mélodie de rester toujours perceptible ? Si elle venait à s'interrompre, l'exercice d'enchantement qui permet d'attirer le visiteur dans une plongée en lui-même ne pourrait pas avoir lieu. Comme un scaphandrier soudain privé de son oxygène, sa remontée serait alors impérative, et l'exploration interrompue. Mais toute exposition « demande coins porte-bonheur », comme l'écrit
Marcel Duchamp, et il y en a beaucoup au Palais de Tokyo. Dans ce vaste laboratoire d'expositions, les artistes et les commissaires d'exposition inventent des phrasés nouveaux.
Philippe Parreno,
Thomas Hirschhorn, Hiroshi Sugimoto,
Georges Didi-Huberman ont chacun proposé des intonations particulières, des façons de faire une exposition jamais imaginées auparavant. Cette nouvelle saison, trois histoires sont racontées, en plus des Modules – Fondation Pierre Berger – Yves Saint Laurent imaginés par de jeunes artistes et de l'exposition de Shahryar Nashat. Une exploration de la Chine réalisée par Jo-ey Tang, une fusion des temps d'autrefois, d'aujourd'hui et de demain inventée par
David Maljković, et une plongée en nous-même avec l'exposition « Inside ». Trois fables, trois écritures et leur phrasé, trois phrases.