les presses du réel

H A V R E

extrait
L'immensité de la trame
Vanina Pinter
(extrait)


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Le polyptyque de Frédéric Teschner est une constellation minérale qui dit tout à la fois la fragilité de la vision, de la mémoire et du design graphique. En octroyant au coupe-vent une valeur de signe « phare », la suite de ces cinq affiches reproduit et étire l'idée de monumentalité et de ruine. Face à la mer, le mur-écran protégeait l'homme et ses bateaux. Cette vague de béton n'est plus que l'empreinte d'un port d'un autre temps.
H A V R E déploie l'œuvre la plus « grise » du graphiste. Éminemment grise. Le gris de Frédéric Teschner est optique, il est un mélange de noir et blanc qui renvoie à nos constructions numériques, diffusant des effluves de matières pixellisées. Cette suite laisse entendre en écho la solitude : ne subsistent que des linéales capitales, traces d'une humanité, fragments d'un discours. Le spectateur se retrouve pris en contre-plongée au pied de ce rempart. Cette verticalisation de l'espace se dresse comme une vague de pixels. Depuis Paris, les recherches du graphiste se sont portées sur le brise-vent ; elles renvoient à une forme de nostalgie – celle d'un monde dans lequel le design graphique aurait participé à changer le réel – et à une volonté de sublimation : trouver les armes pour inventer son propre champ de bataille dans le paysage visuel quotidien.
Avec les outils numériques, le principe de la focale s'estompe. La photographie se zoome après-coup. L'image indicielle devient un infini de pixels. On peut se balader dans les affiches de Teschner sans jamais parvenir à les saisir, sans jamais trouver le point où elles se fixent entièrement. Comme on peut voyager sur Google Earth sans jamais terminer son tour du monde. Avec l'absence de focale, l'œil ne rencontre aucun point de fuite : il circule, il se perd, il décide de façon contingente où se fixer. La lecture se fractionne, la vision sait qu'elle ne peut être figée, d'où cette sensation « que l'impression d'immensité est en nous, qu'elle n'est pas nécessairement liée à un objet2 ». D'ailleurs, les éléments du réel propres au Havre – ses édifices et ses traces d'écritures vernaculaires – gravitent. Le Signal d'Henri-Georges Adam, les cheminées de la centrale EDF, les noms des bateaux amarrés, un détail d'une architecture d'Auguste Perret entrent en lévitation. Le pixel absorbe et gangrène notre façon de regarder le monde. Et celui-ci de se transformer à travers cette décomposition en bitmap. Cette transposition et ce parachèvement numériques conduisent à un nouveau paradigme formel et conceptuel qu'il faut aviver et décrypter.
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