extrait
L'art à l'épreuve des mondes exposés
Franck Gautherot
(extrait, p. 27-31)
De la première exposition « universelle » qui se tint à Londres en 1851
(The Great Exhibition), il ne subsiste dans la mémoire collective que son
emballage, son contenant : le Crystal Palace.
Dessiné par Joseph Paxton, un paysagiste, jardinier en chef au service
du Duc du Devonshire, inventeur de serres vitrées à ossature métallique,
le Crystal Palace fut l'attraction de l'exposition.
Il connut, succès, relocalisation pour finalement partir en fumée en 1936.
Ce qui semble le destin habituel de ces constructions temporaires commandées
pour ces manifestations internationales – cf. une réplique newyorkaise
en 1853-1858 qui brula en 25 minutes, ou encore le Glaspalast
de Munich (1853) parti en fumée en 1931…
La Convention de Paris signée le 22 novembre 1928 entre trente et un
pays définit le cadre réglementaire des expositions internationales : le
Bureau international des expositions (BIE) vise à garantir sa bonne
application.
Partagées entre les expositions de première catégorie et celles de seconde
catégorie, aujourd'hui qualifiées d'universelles et se déroulant au moins
tous les cinq ans, ou de spécialisées, organisées entre deux expositions
universelles.
83 de ces manifestations ont déjà eu lieu en Europe, en Amérique du
Nord, en Océanie et en Asie, mais jamais en Afrique jusqu'alors.
Que nous dit cette piste qui s'ouvre, si ce n'est la glorification esthétique,
spectaculaire et commerciale de l'industrialisation triomphante : les
expos se targuent d'un tel programme – le talent industrieux de l'homme
(blanc, mâle!) avant de tourner fièrement colonial.
En effet dès l'exposition de 1855 à Paris, 25 Etats et leurs colonies participent,
mais l'édition de 1867, à nouveau sise à Paris, fait la part belle aux
colonies de l'empire français : Le Maroc, la Tunisie et l'Algérie sont présentés
dans le pavillon central.
Les machines, les colonies, le faste déployé, l'exotisme partagé attire les
foules.
Un bref état de la fréquentation montre une progression constante depuis
la Great Exhibition de Londres qui avait poussé 6 millions de curieux à
payer leur billet d'entrée.
Les différentes éditions à Paris affichent des chiffres qui affoleraient les
comptables actuels des entrées de manifestations similaires :
1855 : 5,1 millions (entrées payantes) ; 1867 : 11 millions ; 1878 : 16 millions
; 1889 : 32,3 millions, l'apothéose de l'expo de 1900 avec ses 50,8
millions de visiteurs marque le climax absolu.
En regard, les scores enregistrés à New York (1853) – 1,1 million, ne marquent
que la transmission au Nouveau Monde des mêmes recherches du
spectaculaire.
On attendra 1964 pour faire tomber le record parisien de 1900 et ses 50
millions de visiteurs, avec l'édition new-yorkaise qui comptabilisera près
de 51 millions d'entrées payantes.
Expo '70 à Osaka c'est 64 millions et le record mondial pour le XXe siècle.
En 2010 Shanghai annonce 73 millions : probablement un record qui
tiendra longtemps, en ce que la course à une telle fréquentation ne peut
se réaliser qu'en pays de boom économique agressif et autoritaire.
L'art entre en scène aux côtés de l'industrie
L'homme industrieux a son double dans l'homme créatif, servant l'art
sur les mille plateaux des scènes des expositions universelles.
Depuis 1855, les arts sont au menu des festivités universelles, selon des procédures de choix qui ne sont pas sans évoquer les Salons annuels avec
leurs cortèges de refusés, de censurés...
Si Londres a devancé Paris pour la tenue de la première exposition universelle,
la France est en 1855 la première nation à offrir une grande exposition
internationale d'art contemporain, peinture, gravure, lithographie,
sculpture, médailles et architecture.
Dans son comité d'organisation figurent les noms de Delacroix, Ingres
ou Prosper Mérimée.
28 nations, 4 979 œuvres et 2 176 artistes, dont 1 072 artistes français
pour une exposition qui attirera 1 million de visiteurs.
Courbet, présent avec 11 peintures, voit son Atelier banni d'exposition.
Il décide alors de construire un édifice de bois et briques Le pavillon du
réalisme où l'Atelier du peintre, l'Enterrement à Ornans et une quarantaine
d'autres œuvres se montrent en majesté. Le off est inventé.
(...)